La proximité est devenue une nouvelle forme de légitimation de la politique. En Corse, terre de proximité par essence, cette thématique y constitue t-elle une véritable rupture ? Décryptage.
Il est difficile, en cette période d'élections cantonales, de passer à coté de la thématique de la proximité : "être proche des citoyens", "candidature de proximité", "élection de proximité" … Ouvrez un journal, écoutez la radio ou la télé, discutez avec les candidats, quel que soit le bord politique, ils investissent tous massivement ce champ rhétorique.
Ne croyez pas cependant que cette injonction du proche concerne seulement les élections cantonales en Corse. Il en est de même sur le continent et ce, pour toutes les élections. Qui plus est, dans les démocraties modernes, la proximité a débordé le champ de la politique pour investir toute la société : "démocratie de proximité" "police de proximité" "commerce de proximité" "justice de proximité"… Il faut être proche.
Que cache en réalité cette nouvelle idéologie ? Alors que durant deux siècles, la construction des Etats-Nations nécessitait une distance au pouvoir, seule capable d'extirper les nouveaux citoyens de la boue des campagnes et des appartenances féodales, aujourd'hui la proximité est exposée comme la condition indispensable à l'exercice d'un pouvoir efficace et juste. Mais depuis la fin des années 90, un changement profond se fait jour. Les représentants politiques ont trouvé dans la proximité un moyen de recréer du lien social avec les citoyens et de refonder leur légitimité. L'unité perdue des démocraties est alors vivifiée par la proximité qui renoue avec l'unanimité que la politique partisane ne pouvait plus assurer.
Comme dans les grandes démocraties, la politique en Corse s'est appropriée pleinement cette tendance. Il se trouve, tout de même, qu'elle y revêt une connotation plus originale. Car cela n'aura échappé à personne : la société corse est structurellement et invariablement une microsociété de proximité. Par sa géographie, sa démographie et sa culture, les acteurs sociaux en Corse sont inexorablement contraints à être proches. Qu'ils le veuillent ou non d'ailleurs, une ascension sociale, une réussite d'entrepreneur, ou une carrière politique se font obligatoirement par un réseau étoffé d'interconnaissances.
Dans ce contexte, on peut affirmer que la Corse a longtemps expérimenté la proximité sans pour autant avoir rendu intelligible son apport politique dans la constitution de l'intérêt général. Il semble donc y avoir une différence entre la théorie de la proximité telle qu'elle est présentée par les démocraties modernes et les pratiques de la proximité telle que la Corse les a connu.
Au final, la proximité peut revêtir deux aspects différents. D'un coté, elle peut être le lieu du féodalisme, du clientélisme, du campanilisme où elle utilise les relations interpersonnelles pour asseoir des avantages, favoriser des stratégies particulières et faire carrière en politique.
Inversement, la proximité permet d'être plus en contact avec les réalités du terrain de ressentir les résultats des politiques engagées et donc d'associer en permanence le citoyen aux décisions politiques. Finalement, elle est la reconnaissance de la participation de la société civile comme une nouvelle forme de la légitimité politique indispensable à la définition de l'intérêt général. La deuxième conception pourrait être favorisée aux dépens de la première si sont définies les règles du jeu qui encadrent la relation de proximité.
Ces élections cantonales ont ceci de bien particulier. De par leur mode de scrutin, elles sont les élections reines de la proximité. Mais ce sont aussi probablement les dernières élections cantonales car la réforme des collectivités locales pourrait supprimer les élus du conseil général en 2014. Il est fort à parier, en revanche, qu'elles ne soient pas les dernières élections de proximité en Corse.
D.B
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