Régulièrement nous vous proposerons les coups de cœur des libraires corses qui donneront leur avis sur les sorties littéraires corses ou internationales. Bonnes lectures !
Merci aux libraires qui ont participé à ce premier coup de cœur des libraires corses.
LUCIE CANCELIERI
Les Trois Lumières traduit de l’anglais (Irlande) par Jacqueline Odin, éditions Sabine Wespieser
Ce bref roman raconte, avec beaucoup de subtilité, l’été d’une fillette pauvre placée pour une durée assez indéterminée chez un couple de parents éloignés car sa mère, enceinte, se trouve débordée par sa nombreuse progéniture. Confrontée à un univers très différent de son quotidien, l’enfant y apprendra une autre façon de vivre et d’être aimée, sans connaître au début les mots pour l’exprimer. Elle découvrira d’ailleurs que certains adultes préfèrent taire les sujets sensibles et grandira en se conformant à cette voie.La force de ce texte tient justement dans ses non-dits. L’écriture de Claire Keegan crée une ambiance plus qu’elle ne décrit, laissant la part belle à l’imagination du lecteur et beaucoup de questions ouvertes. Le récit, court et dense, dans une prose poétique, éveille la curiosité sur le choix délibéré de certains adultes pour le silence…
Librairie La Marge, Ajaccio
Davanti u focu chi more, Pierre-Joseph Ferrali, Colonna Éditions, 15€
Davanti à u focu chì more. Les rives
de la méditerranée sont-elles devenues trop étroites ? La littérature américaine inspire-t-elle désormais les auteurs corses ? Le manifeste littéraire de Pierre-Joseph Ferrali ? La
préface de Joseph Kessel au roman de Steinbeck, Des souris et des hommes. Quelle audace ! Une cassure ? La révolte oedipienne contre les modèles, ces rivaux ? Le
recueil Davanti u focu chi more, renferme cinq nouvelles. Les personnages sont forts, éprouvés par la vie. Les histoires, cruelles, prennent leur inspiration sur les routes de Corse
à l’époque actuelle, le Moyen Age, ou les romans de Cormack McCarthy. Mêlant le fantastique et le réalisme le plus noir, le jeune auteur originaire de Cervioni refuse de faire de la littérature
engagée, mais il nous prévient : il n’y a pas de rédemption possible. La langue est travaillée, souvent poétique, mais tout à fait abordable par un lecteur moyen. N’hésitez pas, lisez le
recueil en langue corse. Pour les moins initiés, la traduction française vient de paraître.
Françoise Ducret, Librairie Le point de rencontre, Bastia
Solaire, Ian McEwan, Gallimard
Mickael Beard, ancien prix nobel de physique, a atteint la cinquantaine et se repose sur ses lauriers. Sa vie privée n'est guère plus glorieuse car le voilà devenir jaloux alors que sa cinquième
femme est en train de le quitter. Mais, à la faveur d'un accident, il pense surmonter ses ennuis, redonner un nouveau souffle à sa carrière en sauvant la planète d'un désastre climatique. A
travers les aventures de ce personnage, Ian McEwan traite de sujets très actuels. Ce dernier roman est toujours aussi hilarant et avec un vrai fond
!
Librairie Album, Bastia
Belle et sombre, de Rosa Montero traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse, éditions Métailié
Après avoir vécu des années dans un orphelinat, une fillette est prise en charge par sa grand-mère dans un quartier pauvre d’une grande ville. La maisonnée vit sous la férule de cette vieille femme de caractère : un fils de celle-ci, homme brutal et violent, son épouse, peureuse et effacée, leur garçon, observateur et discret, la fillette et la Naine, une femme minuscule qui fait des tours de magie dans un cabaret avec l’homme de la maison pour y faire rentrer de l’argent. Il y a également une ribambelle de chats errants nourris par la grand-mère qui leur donne les noms de personnes décédées qu’elle choisit sur des pierres tombales.
Tous attendent le deuxième fils, le père de la fillette, comme le messie. Car il doit bientôt rentrer de prison… L’histoire en soi est triste et sombre : la fillette décrit ce qu’elle observe avec la naïveté de son âge et le lecteur prend la mesure de l’histoire criminelle qui sous-tend l’action. Mais elle est racontée avec une foisonnante fantaisie qui imbrique des récits dans la narration principale, essentiellement dus au talent de conteuse de la lilliputienne. Ces légendes données pour vraies forgent l’imaginaire de l’enfant et font tout le charme de ce roman brillamment construit !
Librairie La Marge, Ajaccio
Atlas de l'impossible ACTES SUD – 25€
En1907, alors que l'Inde est sous domination britannique, Amulya décide de quitter Calcutta avec sa famille pour s'installer à Songarh sur les contreforts de l'Himalaya en lisière de la jungle . On y suit les petits et grands évènements qui jalonnent leur vie et en particulier l'épouse d'Amulya, Kananbala, de même que transparaît en filigrane l'évolution politique de l'Inde. Anuradha ROY évoque ensuite d'autres portraits de femmes comme Shanti, la belle-fille trop vite décédée, ou Meera, la veuve pour laquelle tout nouvel amour est désormais refusé, et enfin Bakul, la petite-fille de Kananbala, qui parviendra à se libérer dans les années 50 du joug des traditions et de la caste et s'appropriera sa vie tout comme l'Inde a accédé à l'indépendance et a pris en main son destin . L'écriture est alerte, fluide et nous découvrons l'Inde de la première moitié du XXème siècle sous de nombreux aspects tant quotidiens, religieux, politiques ou économiques avec des personnages attachants et souvent hauts en couleur . Alternent avec le déroulement de l'histoire des descriptions très vivantes et précises des maisons et des jardins, des villes, des paysages,des vestiges archéologiques ou encore du Gange qui colorent et bâtissent un décor somptueux à cette saga familiale qui traverse un demi-siècle d'histoire indienne et trois générations de femmes.
Sylvie Briand, librairie Des Palmiers, Ajaccio
E. M. Cioran, A. Guerne, Lettres, 1961-1978, Editions L'Herne
L’Herne publie pour la première fois, 20 ans de correspondance entre Cioran, penseur d’origine roumaine, et Armel Guerne, poète suisse et traducteur des plus grands auteurs allemands et anglais.
Cioran reste vivre à Paris, tandis que Guerne part restaurer un vieux moulin dans le Lot-et-Garonne. Là, il trouve le bonheur de la vie à la campagne. Il écrit dans une de ses premières lettres
de provincial : « les gens heureux haïssent l’écriture et se contentent de la pensée de leur cœur ». Les aléas de la vie quotidienne, la parution d’un de leurs ouvrages, les
échanges avec les éditeurs, Mai 68. Les propos échangés par les deux hommes ne sont que fulgurances, traits d’humour cinglant et témoignage de leur amour de la littérature. Quel plaisir de
lecture !
Françoise Ducret, Le Point de Rencontre, Bastia
Écrire commentaire