Janine Serafini, conservateur honoraire du patrimoine, va régulièrement venir nous racontrer les histoires de l'Histoire. Après "Lorsque le Prince de Galles s’agenouilla devant le tombeau de l’Empereur aux Invalides", qui ouvrait cette belle série, elle nous rappelle cette nuit au cours de laquelle, par-delà tous les avis de recherche, un Corse, sous-prefet en charge de l'autorité impériale en Italie, a tendu la main à un autre Corse qui à l'époque était le proscrit le plus recherché d'Europe, Charles-André Pozzo di Borgo!
Nous sommes en 1813, à un moment où Napoléon est encore tout puissant en Europe. L’empire qu’il a construit s’étend de l’Océan atlantique jusqu’à la Russie. En cette période d’intense activité
diplomatique entre les Alliés (Angleterre, Russie, Prusse et Autriche), le gouvernement anglais envoie un homme en mission secrète en Italie. Cet homme, c’est le proscrit le plus recherché
d’Europe. Napoléon lui-même a rédigé son signalement afin qu’on puisse l’arrêter et qu’il soit «conduit par la gendarmerie de brigade en brigade dans les prisons de Turin » puis dirigé
vers la France. Il faut dire que Napoléon le connaît bien. Enfants, ils jouaient ensemble, puis les rivalités électorales les ont séparés et peu à peu une haine farouche les a opposés. Cet homme
grand, blond, au visage avenant et facilement reconnaissable, a déjà derrière lui une longue expérience de négociateur et de diplomate au service de l’Angleterre, de l’Autriche et surtout de la
Russie. Plus tard, Karl Marx dira même de lui qu’il a été « le plus grand diplomate russe des temps modernes ».
Mais, en ce début d’année 1813, Pozzo est en danger. Son déplacement est signalé dans la Péninsule. Son ordre d’arrestation a été donné par M. d’Aussé, directeur général de la police de l’Empire
dans les anciens départements du Piémont. « L’importance que le gouvernement attache à cette arrestation exige toute votre surveillance et celles de vos subordonnés. Vous aurez soin d’en
informer tous vos sous-préfets avec injonction, d’en donner aussitôt connaissance à tous les commissaires de police et à tous les maires de leur arrondissement respectif pour que les ordres du
gouvernement soient exécutés avec rigueur ».
Et Pozzo lit cet ordre placardé dans tous les lieux public de la Haute-Italie. Il se sent perdu. Il n’a plus qu’une pensée : demander l’asile à son ami Ange Chiappe, sous-préfet d’Alba. Il arrive
devant la sous-préfecture et voit l’ordre de son arrestation, signé de Chiappe, placardé sur la porte. Il a un moment de recul. Dans sa guérite, le soldat en faction ne l’a pas reconnu. Que
va-t-il faire ? Il sait que Chiappe ne porte pas dans son cœur l’Empereur, mais il est à son service… ! Pozzo n’hésite plus. Il sait que pour un Corse, les lois de l’hospitalité sont sacrées. Il
frappe à la porte. Un serviteur ouvre. Il demande à parler au sous-préfet qui vient aussitôt dans le hall d’entrée. Il reconnaît Pozzo et l’étreint. Ce soir-là les deux hommes passeront une
soirée inoubliable, échangeant leurs souvenirs autour d’un bon repas et d’un bon feu. Et après une bonne nuit de sommeil, Pozzo di Borgo reprend la route et arrive à s’embarquer en Ligurie pour
l’Angleterre.
On pourrait penser qu’Ange Chiappe a agi ainsi parce qu’au fond de lui-même, il en voulait à l’Empereur, et c’est vrai qu’il a eu, dans sa vie, des motifs sérieux de lui en vouloir. Mais ce n’est
pas cette raison qui l’a fait agir ainsi, et il montrera sa bonté et sa solidarité envers ses compatriotes à d’autres reprises. Ainsi en 1815, abrita-t-il et protégea-t-il le roi Jérôme traqué
après la chute de l’Empire !
D’après « Pozzo di Borgo diplomate de l’Europe française » de Pierre Ordioni librairie Plon 1935 et J.P. Mac Erlean le biographe de Pozzo di Borgo.
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