Lauréat du Prix Don Joseph Morellini, décerné par le Conseil Général de la Haute-Corse, pour son recueil de nouvelles « Rise e Tambate », Ghjiseppu Turchini en profite pour dresser un état des lieux inquiétant de la situation de la langue corse. Cet écrivain, professeur de corse, tire la sonnette d’alarme et appelle à une prise de conscience générale avant qu’il ne soit trop tard. Un plaidoyer pour une écologie linguistique sur fond de disparition des langues minoritaires.
- Pourquoi ce prix décerné par le Conseil général est-il si important pour vous ?
- D’abord, le Conseil général symbolise les terroirs de Corse dans leurs dimensions paysanne, villageoise, rurale et aussi urbaine parce que nos livres baignent dans les deux entités : Bastia et
le village. Ensuite, il est important de démontrer à l’opinion publique que le Conseil général s’engage dans la reconnaissance, l’épanouissement et la promotion de la langue et de la culture
corses. Enfin, l’aspect matériel n’est pas négligeable parce que le lectorat des langues minoritaires est très réduit. Un best-seller, c’est 500 ouvrages. La personne, qui s’investit dans la
littérature et fait l’effort d’écrire, récolte peu de retombées financières. Au delà de la reconnaissance, la somme assez conséquente de 5000 euros, qui accompagne le prix, encourage à
continuer.
- Ce prix couronne une production littéraire corse en pleine ébullition.
- Oui. La production est non seulement de plus en plus volumineuse, mais de qualité et traite de tous les sujets : du polar, des essais, de la poésie, le rire, la politique, des sujets très
contemporains, etc.
- Par rapport à un débat qui avait cours, il y a vingt ans, sur le corse, langue orale, mais non écrite, la reconnaissance du livre corse constitue-t-elle un pas important
?
- Oui, tout à fait. Ce débat entre le corse est-il un dialecte ou une langue est heureusement dépassé grâce aux acquis de l’investissement et de la lutte. La langue corse a été codifiée, mais
n’est pas encore assez reconnue, pour ne pas dire pas reconnue du tout. Elle n’a pas encore assez d’espace nécessaire, un espace que seul le statut de co-officialité peut lui conférer.
- Ce qui est en cours ?
- Ce qui, nous l’espérons, est en cours parce que, pour l’instant, rien n’est fait. Le vœu quasi-unanime de l’Assemblée territoriale va être adressé au gouvernement français. Il faut attendre le
retour. Le Conseil Constitutionnel peut très bien adopter une position ferme et refuser le statut de co-officialité sur le territoire de la France, seul état d’Europe à n’avoir pas signé la
charte des langues minoritaires. Nous sommes encore inquiets, même si nous gardons espoir. La co-officialité n’est pas acquise.
- En tant que professeur de corse, quel état dressez-vous de l’apprentissage et de la pratique de la langue ?
- Nous sommes à la croisée des chemins, à deux doigts de l’extinction parce qu’il y a une érosion qu’il ne faut pas nier chez les jeunes. J’enseigne depuis vingt ans. En vingt ans, j’ai vu une
dégradation continue, progressive de la pratique de la langue. L’érosion est de plus en plus effective. Il faut faire très vite. C’est maintenant ou jamais.
- N’y a-t-il pas contradiction entre le développement de l’apprentissage du corse à l’école, dans les classes bilingues et l’érosion que vous constatez ?
- D’abord, il y a un temps de décalage parce que le temps de la société n’est pas le temps scolaire. Ensuite, l’école ne peut pas tout faire. Nous sommes tous bien placés pour le savoir, ne
serait-ce que pour les études d’anglais où, malgré les longues années d’apprentissage, nous ne sommes pas capables de parler anglais. Enfin, il faut attendre que le dispositif monte en
puissance.
- C’est-à-dire ?
- Prenons le cas des classes bilingues. Seules les écoles maternelles de plus de quatre classes sont bilingues, ce qui représente une vingtaine d’écoles sur 36. Il faut ensuite regarder ce que le
terme bilingue recoupe, la réalité est souvent moins brillante que le titre ronflant accordé à ce genre de site. Un site bilingue, comme son nom l’indique, c’est la moitié du temps, soit 12
heures dans une langue et 12 heures dans l’autre langue. Or, en général, le temps dévolu à la langue corse est de 3 à 8 heures. La maternelle accueille des élèves entre 3 et 6 ans qui ne seront
de futurs locuteurs performants que si l’apprentissage se poursuit en primaire, au collège, etc. De plus, il faut que le statut de la langue rayonne dans toute la société. Ce n’est pas l’école
seule qui peut sauver la langue corse.
- Dans ce cas, le dispositif enseignant est-il vraiment efficace ?
- Nous enseignons entre 1 heure et 3 heures par semaine. Ce n’est pas suffisant pour apprendre correctement une langue. Néanmoins, d’énormes progrès ont été faits. Aujourd’hui, certains élèves ne
sont plus capables, parce que le corse n’est plus la langue maternelle, de faire un commentaire ou de s’exprimer de manière naturelle, pour autant ils sont capables de faire une lecture très
correcte, voire remarquable, d’un texte, mais en n’en comprenant que l’essentiel ou qu’un aspect partiel. Il y a donc un paradoxe entre des résultats très concrets, très positifs et très
encourageants du début du dispositif qui a été mis en place et les insuffisances de ce dispositif. La Catalogne est un exemple à suivre. Elle prouve que, quand le dispositif se met en place et
monte en puissance pendant tout le cursus scolaire, il obtient des résultats au-delà de ceux espérés.
- La langue corse s’est toujours transmise oralement de parents à enfants. Pourquoi y a-t-il aujourd’hui, selon vous, rupture de transmission ?
- C’est un processus que l’on constate partout où ce genre de situation et de logique opère. C’est ce qu’on appelle les situations diglossiques où une langue dominante qui, parce qu’elle
bénéficie du dispositif officiel et qu’elle est « a lingua di u pane », la langue de l’emploi, de la promotion sociale et de la reconnaissance, finit par occuper tous les espaces, y compris ceux
de la rue et de la cellule familiale. De facto, par la force des choses, il y a un abandon progressif de la pratique de la langue dominée en faveur de la langue dominante. Cette logique a aussi
bénéficié de la notion d’interdit, l’idée que parler corse empêchait de bien parler français. Aujourd’hui, on sait qu’un enfant bilingue est plus performant qu’un enfant monolingue. Mais il a
fallu des années de lutte pour inverser la tendance et nous sommes encore loin du compte.
- Etes-vous pessimiste pour l’avenir ?
- Je suis indécrottablement optimiste sinon je n’écrirais pas de livres en corse, je ne serais pas professeur de corse, j’aurais fait d’autres choix. Sauver notre langue n’est pas irréalisable.
On peut être réalistement optimiste si l’on met en place les dispositifs adéquats, si l’on acquiert ce statut de co-officialité. Il n’y a pas de raison que ce qui a fonctionné ailleurs, ne
fonctionne pas en Corse. Encore faut-il qu’il y ait une prise de conscience de la société en général et surtout de la représentation politique et de notre partenaire qui est l’Etat !
- La langue corse peut-elle disparaître un jour ?
- Oui. Il reste aujourd’hui 5 000 langues sur la planète. L’Unesco affirme que d’ici à la fin du siècle, plus de la moitié aura disparu. Il ne restera donc que 2 000 langues sur la planète. Et ce
qui arrive aujourd’hui aux langues régionales va très vite arriver aux langues nationales. La problématique va se poser de la même manière en commençant par les moins puissantes. C’est déjà ce
qui se passe au sein de l’Union européenne où les textes ne sont jamais écrits en espagnol, en portugais, en grec, en tchèque, en slovaque, etc. Donc, ou l’humanité, dans son ensemble, prend
conscience qu’il y a une écologie linguistique et culturelle, le terme a été lancé par l’ancien président Jacques Chirac, et que chaque culture, aussi mineure soit-elle, a droit à l’existence et
à l’épanouissement, ou bien on gomme la diversité et on va vers l’uniformité. Ce serait un drame parce qu’on confondrait universalisme et uniformité. Et, l’uniformité, c’est la mort. Cette
situation rend le combat pour la langue corse plus noble et universel.
- La Corse peut-elle s’en sortir toute seule ?
- Elle ne le peut pas. Elle ne réussira que dans une prise de conscience universelle.
Propos recueillis par N. M.
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Carlos Laguinda (mercredi, 30 novembre 2011 08:03)
L'analisa mi pare interessante, è malgratu u so pessimisimu, ùn hè ch'e troppu realista.
U Palatinu (mercredi, 30 novembre 2011 10:11)
Dighjà, s'e no l'adupressimu un pocu di più, a nostra lingua, in a vita oghjinca, seria un dighjà un megliustà.
Grazie per st'articulu, è grazie o Carlos per u ligame.
Dirusiu (samedi, 03 décembre 2011 22:54)
I militenti culturali so stimati quantu hè stimata a lingua in Corsica, vale a di pocu pocu, si un simu noi capaci di sustene l'omi chi cume Turchini, provanu d'impastà,allora un sereme capaci di fà rinvivisce a nostra lingua...un bastanu l'instituzione e e so decizione, serrebe anc'ora di ripiglià i chjassi di l'andature culletive...e ne simu sempre assai luntani...