Après 35 jours d’occupation des deux aéroports de Bastia et d’Ajaccio et une nouvelle journée de grève, la médiation, qui débute ce vendredi, concentre tous les espoirs. 45 personnes sont concernées : 17 sur Bastia et 28 sur Ajaccio. Syndicalistes et Indignés restent déterminés à faire plier Air France. Mais les enjeux cachés du conflit semblent, pour les deux parties, dépasser le simple sort des Indignés. Explications d’Albert Malausse, délégué CGT-Air France sur l’escale de Bastia-Poretta.
- Quel bilan tirez-vous de ces 35 jours d’action et d’occupation des aérogares de Bastia et d’Ajaccio ?
- Le bilan est plus que positif parce que nous avons réussi à sensibiliser la population par un contact direct au travers de la pétition qui a été signée par 18 000 personnes, un chiffre assez
conséquent par rapport à la population de la Corse. Nous avons pu faire un travail de pédagogie auprès des usagers pour arriver, aujourd’hui, à faire un jour de grève sans entendre dire : « on
est pris en otage, etc ». Les usagers savent pourquoi nous nous battons, pour 45 jeunes qui attendent un emploi.
- Cette adhésion de la population n’était pas gagnée d’avance ?
- Non, mais c’est grâce aussi à la couverture médiatique qui a été réalisée, aux différents médias qui ont joué le jeu. Les journalistes se sont investis dans ce conflit, ils ont donné la parole
aux intéressés qui ont pu, avec leurs mots, expliquer leur situation.
- Qui a demandé la médiation ?
- Le Premier Président de la Cour d’Appel a formulé cette proposition et pilote la médiation. Les deux parties, aussi bien les salariés que la Direction d’Air France, ont tout de suite accepté.
C’est un point positif.
- Combien de temps va-t-elle durer ?
- J’ai cru comprendre qu’elle pouvait s’étaler sur plusieurs jours, pas forcément consécutifs.
- Ce contact n’est pas direct, il se fait par l’intermédiaire d’un médiateur. Qui est ce médiateur ?
- Nous ne savons pas encore. Nous n’avons pas les détails de toute l’opération, ni l’heure, ni le lieu, ni la forme. Nous savons juste qu’elle se passe en Corse. Nous n’avons jamais vécu une
médiation, une négociation oui.
- Qu’attendez-vous de cette médiation ?
- Beaucoup de choses et rien ! C’est très compliqué. Il y a un tel antagonisme entre la position d’Air France et celle des salariés que cela va être vraiment difficile. Maintenant, nous attendons
aussi tout. Le fait de se réunir autour d’une table peut tout débloquer. Depuis 35 jours, nous n’avons jamais eu un seul contact avec la Direction. C’est un pas qui a été fait.
- Si cette médiation ne débouche pas sur une solution acceptable, qu’envisagez-vous de faire ?
- Nous allons rester sur une note positive. Il faudra bien s’en sortir. La voie juridique a été épuisée. Les jugements rendus sont favorables aux salariés. La médiation proposée débute
demain. Nous refusons de penser qu’elle va échouer.
- Certains syndicalistes parlent de durcir le mouvement sur les fêtes de fin d’année ?
- Ce serait la solution ultime, si Air France continue de s’entêter. C’est quelque chose d’envisageable. Nous souhaitons de toutes nos forces ne pas en arriver là, mais si nous y sommes acculés,
le personnel se déterminera.
- Avez-vous épuisé tous les recours judiciaires ?
- Non. Tous les jugements rendus en première instance sont frappés d’appel. L’audience aura lieu le 14 février. Le premier jugement de fond a été rendu par le conseil des Prud’hommes de Bastia
avec des mesures exécutoires qui n’ont pas été respectées par Air France. Ce qui a donné lieu à deux référés du 25 octobre et du 22 novembre condamnant Air France à des astreintes à hauteur de
102 000 euros par jour sur Bastia, soit 6 000 euros par agent et par jour de retard. Ce qui fait déjà, au total, plus d’1,3 million d’euros.
- Etes-vous conscients que ce conflit pèse sur les négociations d’Air France avec la CTC concernant la nouvelle DSP ?
- Qui est victime de qui ? Nous ne savons pas. Nous soupçonnons fortement Air France de se servir du personnel basé en Corse pour faire monter les enchères. Nous n’en avons pas les preuves. La
situation est un peu étrange. Cet appel d’offres ne s’est pas passé comme les autres. Aucune autre compagnie ne s’est présentée. Le montant annoncé d’Air France est assez élevé. Des tractations
sont en cours. La conséquence, c’est qu’au niveau du programme informatique, vous ne pouvez plus, à partir du 25 mars, réserver de billet d’avion pour Paris.
- A partir d’Ajaccio et de Bastia ?
- Oui. Il n’y a plus de vol en machine. Vous ne quittez plus la Corse à partir du 25 mars 2012. Si, aujourd’hui, par exemple vous prévoyez de faire un voyage à New York en avril et que vous
voulez acheter le billet au plus tôt pour avoir un meilleur tarif, on va vous vendre le Paris-New York, mais le Corse-Paris, on ne peut pas !
- Parce qu’il faut attendre le renouvellement de la DSP ?
- Oui. C’est la problématique de la DSP. Mais c’est un cas unique qui ne s’est jamais produit. D’habitude, peut-être par excès d’optimisme, le programme, au moins de base, perdurait. Comme il y
avait toujours des décalages dans les calendriers, des prorogations étaient faites. Il n’y a jamais eu d’interruption. Aujourd’hui, la réponse n’étant pas connue au niveau des négociations et du
groupement Air France-CCM, l’opérateur de la ligne, peut-être en application des règlements européens, fait expirer son contrat à la date prévue du 25 mars 2012. Si maintenant, fin décembre, un
nouveau contrat est négocié et voté par l’Assemblée, Air France remettra les programmes à jour. Mais, pour l’instant, les Corses, qui veulent se déplacer sur Paris, sont coincés.
- Ne craignez-vous pas que les 45 CDD fassent les frais de la négociation sur la DSP et soient sacrifiés ?
- La CTC a voté une motion à l’unanimité demandant le respect des lois et l’intégration des 45 CDD.
- Que pensez-vous du fait que désormais les dessertes de Calvi et de Figari sur Paris ne seront plus effectuées par Air France, mais par Air Corsica ?
- Non, ce n’est pas si simple. Air Corsica ne pourra pas se substituer à Air France. Ce n’est pas une position hégémonique. Il y a un groupement d’intérêt pour la Corse, qui passe par
l’association d’Air France et de la CCM, les deux compagnies sont complémentaires. La CCM fait ce qu’elle peut avec les avions qu’elle a, Air France fait ce qu’elle peut avec les avions qui sont
disponibles sur la Corse. La CCM assure la desserte de base, mais pour transporter en masse les touristes en été, il faut des gros porteurs et des multiplications de vols. L’été dernier, pendant
le week-end du 28 et du 29 juillet, sur deux jours, nous avons traité 105 vols supplémentaires sur Paris, en plus des vols réguliers.
- Pourtant, Air France a annoncé elle-même son retrait des deux aéroports !
- C’est une posture. C’est impensable ! La CCM n’est pas en mesure de multiplier les avions pour assurer les vols supplémentaires, ni d’aligner 14 ou 15 vols dans la journée, l’été, rien que sur
la ligne Bastia-Paris, comme le fait Air France. Ce n’est pas possible ! Comment ferait-elle ? Il faudrait qu’elle achète des avions !
- Que répondez –vous à Air France qui prétend que l’escale corse est, pour elle, très déficitaire et qui avance des chiffres conséquents ?
- On peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut. On n’arrête pas de dire que les escales corses sont parmi les plus chères du réseau des escales France. Nous disposons de plusieurs chiffres
qui tendent à prouver le contraire. Il est peut-être de bonne guerre pour Air France de charger la barque en pleine négociation sur les appels d’offres.
- Vous prétendez qu’Air France aurait des projets de sous-traitance au sol à Bastia et à Ajaccio comme c’est déjà le cas à Calvi et à Figari ?
- Ce n’est plus au stade de projet ! Air France veut mettre en place une organisation qui remettrait en cause nos emplois. D’où leur blocage face à l’intégration des 45 jeunes. Ils veulent
supprimer des emplois alors que nous voulons les forcer à respecter un accord qui prévoit d’embaucher. Air France rentre dans une politique qui consisterait à ne plus avoir aucun CDD en période
estivale, en plein rush touristique.
- La sous-traitance revient-elle moins cher ?
- En théorie. Mais des chiffres prouvent le contraire. A titre d’exemple, l’escale de Bastia représente un budget de 9 millions d’euros pour traiter toute l’activité, salaires compris, alors qu’à
Figari, Air France paye 5 millions d’euros pour traiter juste la desserte sur Paris. Regardez le ratio : 4 millions d’écart entre les deux escales, mais sans commune mesure sur le nombre de
passagers et d’avions traités ! Ce n’est pas le manque d’activité qui contraint Air France à réduire le personnel, c’est simplement qu’elle veut transférer les charges de notre travail à des
sociétés privées de manière à réduire ses charges salariales.
- Vos emplois sont-ils également menacés ?
- Oui. Air France jure que non, mais si l’activité est sous-traitée, qu’allons-nous faire ? Tous les emplois sont en péril.
Propos recueillis par N.M.
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