Après la controverse du vote du budget 2012 à l’assemblée territoriale, Jean Biancucci, qui a porté la charge du groupe Femu a Corsica, revient, pour Corse Net Infos, sur ses critiques formulées à la fois contre le document proposé et contre les méthodes de l’exécutif. L’élu nationaliste dénonce, sans langue de bois, le système en place comme « archaïque », tout en lui reconnaissant une certaine capacité à avancer. Il affirme que, malgré les apparences, les Nationalistes ont gagné.
- Pourquoi votre groupe Femu a Corsica a-t-il voté contre le budget après l’avoir éreinté ?
- D’abord, nous avons été amenés à examiner, au cours d’un débat sans vote, deux documents : les orientations budgétaires, qui donnent les grandes lignes, et le budget supplémentaire. Le budget
est ensuite établi par l’exécutif, discuté en Commission des finances, puis à l’Assemblée, où il peut être amendé. Depuis deux ans, nous demandons à l’exécutif : une prospective financière, un
peu plus de rigueur et qu’il tienne compte des remarques, des suggestions, des propositions et des critiques que l’on pourrait faire. En vain.
- Vous parlez de délai qui n’a pas été respecté ?
- Le document d’orientation budgétaire nous a été donné le 2 décembre. La loi dit que, dans les dix semaines qui suivent, et non pas deux mois comme l’exécutif le prétend, le budget doit être
voté. L’usage, dans les mandatures précédentes, est que le délai entre la production, le débat d’orientations budgétaires et le budget soit d’un mois ou de 45 jours. Or, l’exécutif a voulu faire
« a coce e magna », c’est-à-dire qu’au moment où il a produit les orientations budgétaires, il a produit physiquement le budget.
- C’est ce que vous avez dénoncé lors du débat précédant le vote ?
- C’est ce que j’ai affirmé et qui n’a pas été démenti ! L’an dernier, j’ai fait la même démonstration parce que nous étions dans le même cas de figure. L’exécutif avait produit le budget avant
que le débat sur les orientations budgétaires soit terminé. Dans une collectivité comme la nôtre, où il y a quand même un maximum de participation démocratique, ne fut-ce qu’au travers des
sensibilités qui composent le double hémicycle, l’exécutif doit tenir compte du débat et élaborer le budget primitif en fonction des observations. Or, on ne peut pas tenir compte des débats, si
le document a déjà été produit !
- Êtes-vous en train de dire que le débat n’a servi à rien ?
- Oui. Le débat n’a strictement servi à rien. C’est une aberration totale ! La dernière fois, j’ai été soutenu par les hochements de tête de tous les groupes et de ceux qui étaient, avant, à la
tête de la Collectivité, en l’occurrence Ange Santini et Camille de Rocca Serra, qui ont dit que cela ne se faisait pas. On sait très bien qu’en politique, tous les coups sont permis. Mais, là,
on a dépassé la mesure. Moralement, ce sont des choses qui ne se font pas.
- N’y-a-t-il pas contradiction entre cet exécutif, qui se prétend plus ouvert avec des pratiques différentes, et la fermeture totale que vous dénoncez ?
- Indubitablement. Mais on ne peut pas dire qu’il y a une fermeture totale, c’est plus subtil. Il y a un certain nombre d’évolutions : le foncier, le problème de l’habitat et un début de prise en
compte du problème de la langue corse. Il y en aura peut-être d’autres, parce que l’exécutif a suffisamment d’intelligence, à défaut d’avoir des convictions, pour permettre certaines avancées.
D’un côté, il est dans une dimension plus progressiste que réactionnaire.
- Mais, de l’autre, vous lui reprochez des pratiques antidémocratiques ?
- De l’autre, il suffit de regarder dans le temps, sur plusieurs séances, sur une année, la façon dont il fonctionne, dont il interpelle les gens… Je ne veux pas rentrer dans le détail. Mais on
s’aperçoit que, en fait, dans la méthode, l’exécutif est archaïque. Et le mot est gentil !
- Que voulez-vous dire exactement ?
- La Raison transcende une étiquette politique. Il y a d’autres façons de faire que des oppositions. Sauf qu’il ne doit pas y avoir que le dire, il doit aussi y avoir le faire. Le faire et le
dire marchent ensemble, sinon cela ne colle pas, et, à un moment donné, cela coince.
- Est-ce pour cela que vous avez voté contre le budget ?
-Voter contre le budget est un acte fort, qui prouve notre détermination.
- Vous saviez, par l’abstention de certains élus de droite, que votre vote ne mettait pas en péril l’exécutif. Dans le cas contraire, qu’auriez-vous fait ?
- Je ne fais pas de politique fiction. Je savais très bien, et d’une manière assez précise, comment la droite allait se comporter. Mais, pour nous, il n’y a pas eu de calcul
là-dessus.
- Que pensez-vous de l’abstention de Corsica Libera ?
- C’est incompréhensible. J’ai été étonné, mais cela les regarde. Ils ont certainement de bonnes raisons. Je ne veux pas épiloguer là-dessus. La Corse a trop souffert d’une façon de voir et de
procéder. Dans mon discours, j’ai essayé de faire valoir un point de vue sur qui est responsable et sur qui ne l’est pas.
- Quel est ce point de vue ?
- Je considère que si le monde, l’Europe, la France et la Corse en sont arrivés là, c’est de la responsabilité de gens qui ont prôné et pratiqué, pendant des années, l’ultralibéralisme. Une
partie de la droite insulaire parlait de « désanctuariser la Corse », c’est-à-dire de la livrer au marché. Pourquoi ? Parce qu’il y a une vieille idée de droite qui montre une confiance absolue
dans tous les mécanismes économiques et financiers et considère que le marché peut régler des situations comme celle de la Corse. Mais, ce n’est pas parce qu’on la met en marché que la Corse va
se développer!
- Paul Giacobbi affirme ne pas être sur cette voie-là ?
- Est-ce que Paul Giacobbi sait lui-même où il est ? Il phagocyte un peu tout le monde, il prend un peu chez tout le monde, y compris chez nous. Et c’est tellement clair qu’un journaliste lui a
posé la question : « On vous perçoit comme un nationaliste modéré ? » La question est de taille. Il répond qu’il est radical de gauche. Il est un peu plus que cela, mais il n’est pas pour autant
nationaliste modéré car, s’il l’était, on ne comprendrait plus pourquoi nous ne pouvons pas faire un bout de chemin avec lui. Ce qui m’intéresse, c’est que les gens soient en conformité avec le
dire et le faire.
- Ce n’est pas le cas ?
- Ce n’est pas le cas à de nombreux points de vue. Ce ne peut pas être le cas parce qu’à Venaco, il a mis « una cadena », il a bien bouclé, verrouillé. Il n’y a plus rien à faire. Il y avait
quand même une autre possibilité si, véritablement, il avait cette fibre corsiste, mais il est prisonnier de cette « cadena ». Sans quoi, c’était facile, il aurait dit : « on ne va pas refaire
l’union de la gauche, les électeurs ont choisi autrement ». Malgré tout, nous savons, au bout du compte, que nous avons gagné.
- Vous avez gagné sur les idées ?
- Exactement. Il faut surtout gagner sur les idées. Beaucoup de gens, de gauche et de droite, nous ont suivis. Pour preuve, au deuxième tour des élections, si la liste de droite a bénéficié de
quelques milliers de voix supplémentaires, notre liste a fait un bond extraordinaire en avant, qui aurait pu être encore plus grand. Alors que la liste de gauche a fait exactement le même score
que tous les scores des listes du premier tour réunies, c’est-à-dire que l’opinion ne s’est pas reconnue dans leur démarche, ce qui rend moins légitime leur union.
Propos recueillis par N. M.
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