Lucien Costa, éleveur et maire de Popolasca, comparaissait mercredi au Tribunal de grande instance de Bastia pour "divagation d'animaux, mise en danger de la vie d'autrui, présomption d'abattage illégal et recel de tampons d'abattage". Cette accusation fourre-tout fait bondir le monde agricole qui parle de "procès pour l'exemple" et de "bouc-émissaire". Le procureur a requis 6 mois de prison avec sursis et un total de 2200€ d'amende. Le jugement, mis en délibéré, sera rendu le 17 janvier à 14 heures.
Le procès de Lucien Costa est-il celui de la divagation animale ? A-t-on voulu faire un exemple sur un sujet sensible où l'impuissance des édiles et des autorités prévaut ? Le maire de Popolasca
n'est-il qu'un bouc émissaire ?
Ces trois questions résument à elles seules, l'enjeu du procès qui se tenait, ce mercredi, au tribunal correctionnel de Bastia. La présence dans le public de Jean-Marc Venturi, président de la
chambre d'agriculture de Haute-Corse, et de représentants du monde agricole en était l'illustration. D'autant que les charges retenues contre l'éleveur ne sont pas négligeables : mise en
danger de la vie d'autrui avec risque immédiat de mort et d'infirmité par violation manifestement délibérée d'une obligation règlementaire de sécurité et de prudence, recel de biens, abattage
illégal d'animaux, maintien d'animaux en plein air sans dispositif de clôture ou d'attache... Ces différentes infractions regroupent des délits et des contraventions.
Des vaches sur la RN 193
Mais que reproche-t-on concrètement à Lucien Costa ?
Le 31 juillet 2011, une douzaine de bovins, parqués en bordure de route, envahit la RN 193 au niveau de l'agglomération de Ponte Leccia et manque de causer des accidents sur cette voie très
fréquentée. Alertés par le maire, les gendarmes de Morosaglia sont contraints de régler la circulation, constatent le mauvais état des clôtures et verbalisent l'édile pour divagation animale et
négligences fautives. Pour eux, cet éleveur de 350 bovins se serait volontairement abstenu de parquer son bétail malgré les diverses notifications de la gendarmerie.
L'histoire n'en reste pas là. Le 22 novembre, le maire de Popolasca est placé en garde à vue et présenté, menotté, au Parquet, qui lui signifie sa mise en examen.
Un procès pédagogique
"Etes-vous responsable de la divagation ?", interroge la présidente du TGI, Anne David, qui avoue ne pas comprendre les circonstances exactes de la sortie des vaches de l'enclos. La
version de Lucien Costa est simple : "Les bovins ne sont pas sortis par une clôture cassée, mais accidentellement par un portail ouvert. Mes clôtures sont dégradées régulièrement par les
automobilistes qui les percutent, mais je les répare et elles jouent parfaitement leur rôle". L'explication ne convient pas à la présidente
à la présidente qui insiste sur "le caractère dégradé
des clôtures", photos à l'appui et sur la négligence
de l'éleveur.
"L'objectif est la disparition de ces problèmes endémiques d'accidents qui peuvent résulter de la présence d'animaux sur les routes", poursuit Anne David, qui évoque " l'aspect
pédagogique de ce procès afin que les éleveurs fassent preuve d'un peu de rigueur".
Un mode de fonctionnement
Le ministère public, en la personne de Mme Lepaul-Ercole Vanina, se défend, d'emblée, de vouloir "faire le procès de la divagation, mais celui de Lucien Costa et de ses infractions
répétées".
Elle se focalise sur le risque d'accident et la responsabilité de l'éleveur. " Vu le nombre de fois où Lucien Costa a été entendu par la gendarmerie, à sept reprises, cela aurait du le
conduire à être plus vigilant et à parquer son bétail dans un dispositif d'enclos". Pour le procureur, l'infraction est caractérisée par "ce mode de fonctionnement de laisser les vaches
dans la nature, la divagation permet de nourrir les bêtes".
Une accumulation de charges
Puis les charges s'accumulent. L'affaire devient plus trouble.
Lucien Costa est poursuivi pour recel de trois tampons d'abattage trouvés à son domicile et dans sa voiture. Ces tampons le rendent suspect de contrefaçon d'estampille liée au marquage de la
viande par les services vétérinaires. S'il reconnait leur possession, il affirme n'avoir jamais utilisé ces tampons. "On n'a jamais trouvé une bête estampillée par une contrefaçon",
argumente-t-il.
L'éleveur est également suspect d'abattage illégal suite à un contrôle vétérinaire qui aurait trouvé, dans une pièce réservée à la découpe de la viande, des traces de sang et de débris d'os.
"Je me suis battu pour la traçabilité des viandes et j'ai été à la pointe du combat pour que les abattoirs soient mis en place", se défend l'éleveur pour qui ces traces relevées ne sont
que des traces normales liées à la découpe.
Ce n'est pas l'avis du procureur qui affirme que "chaque fois que les gendarmes vont chez Costa, il y a des bovins non identifiés". Reliant ce bétail inconnu aux tampons et aux traces de
sang, il émet une "suspicion de flux de bêtes" et "d'abattage illégal de carcasses".
Amendes et prison avec sursis
Considérant, au final, que l'éleveur a "un comportant
récurrent de mise en danger
d'autrui" et qu'il ne fait "aucun effort pour y remédier", le ministère public
va requérir à
son encontre toute une série d'amendes sanctionnant ces diverses infractions pour une somme globale de 2200 euros. Estimant que le recel de tampons et la contrefaçon sont des délits, il
demandera, en sus, six mois de prison avec sursis simple. Et un avertissement en prime : si l'éleveur persévère à pratiquer la divagation animale, le Parquet se réserve le droit de requérir une
peine supplémentaire d'interdiction temporaire d'activité.
Une frénésie de poursuites
Me José Martini, pour la défense, va d'emblée, dénoncer "ce dossier curieux à plusieurs égards, que l'on veut emblématique, par ce cumul de procès-verbaux et cette impression de frénésie des
poursuites".
Se demandant s'il était normal pour une simple divagation de vaches de " passer toute l'activité de l'éleveur au scanner, ses taxes foncières, ses déclarations de revenus", il pointera du doigt une "procédure faite sur une dénonciation anonyme" et le "conflit personnel qui oppose un des gendarmes enquêteurs au prévenu".
Rejetant le délit de recel "qui n'est pas constitué, les estampilles étant inutilisées et inutilisables" car obsolètes, il va s'attacher à contrer point par point les accusations qui
pèsent sur son client.
Un dangereux amalgame
"La mise en danger exige un comportement particulier. Or, il n'y a jamais eu d'accident avec les bêtes, il n'y a pas de brèche dans la clôture, pas de plainte du maire de Ponte-Leccia pour
divagation. Les seules jurisprudences en matière de divagation d'animaux et de mise en danger de la vie d'autrui ne concernent pas les vaches, mais les chiens d'attaque".
Ne relevant aucune preuve concernant la divagation volontaire, il va plaider une sortie accidentelle du bétail hors des parcelles clôturées.
Enfin, l'avocat va balayer l'allégation d'abattage illicite "frappé de prescription" sur la forme et ne reposant sur rien sur le fond. Fustigeant "le danger de procéder par
amalgame" et la procédure qu'il qualifie "d'approximative", il va demander la relaxe pour "un éleveur sans histoire" et rappeler que "le monde agricole, qui est
installé dans une crise, a besoin d'une application sereine de la justice".
Le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 17 janvier prochain.
Nicole MARI
Me José Martini : " On a choisi le mauvais prévenu"
Pour Me José Martini, avocat de Lucien Costa, le maire de Popolasca est un éleveur responsable, victime d'un contentieux emblématique de la divagation animale et d'une curieuse frénésie
de poursuite.
- Pensez-vous que le procès de Lucien Costa soit celui de la divagation animale ?
- Si on veut faire le procès de la divagation animale, il ne faut surtout pas poursuivre Lucien Costa. Son bétail est sorti accidentellement de son enclos et, à partir de là, on a voulu en
faire un contentieux emblématique de la divagation animale corse. C'est un mauvais choix.
- Le monde agricole parle de "bouc-émissaire". Le terme vous semble-t-il approprié ?
- Non. Je ne dirais pas "bouc-émissaire", mais, compte tenus des faits qui figurent au dossier, on pouvait s'abstenir de l'envoyer devant le tribunal correctionnel.
- Il est cependant accusé d'avoir mis en danger la vie d'autrui !
- Je conteste très fortement l'accusation de mise en danger de la vie d'autrui. En aucun cas, on ne peut reprocher ce délit à mon client.
- Vous parlez d'un dossier curieux, d'un cumul de PV et de frénésie de poursuite.
- On a rassemblé un certain nombre d'infractions pour donner une impression de volume et de nombre. Et ce nombre d'infractions cumulées, dont beaucoup sont tout à fait contestables, m'amène
effectivement à penser qu'on a voulu faire un exemple mais, je le répète, on a choisi le mauvais prévenu. Mon client est un éleveur responsable qui a toujours oeuvré dans la filière et se bat,
depuis toujours, pour que les espaces naturels soient préservés et que la Corse de l'intérieur puisse vivre dans un secteur sinistré.
- Vous dites : "on". Mais qui est ce "on" qui s'acharne contre Lucien Costa ?
- "On" est un pronom indéfini. C'est la raison pour laquelle je l'utilise. Je n'en sais rien parce que si je savais ou si j'avais des éléments pour préciser ma pensée, je l'aurais fait. C'est
un sentiment qui se dégage de cette procédure et que je livre au tribunal sans pouvoir aller plus loin dans mes conclusions.
- Etes-vous confiant par rapport au jugement ?
- Je n'en sais rien. Je ne sais pas du tout ce que le tribunal fera et ce qu'il arbitrera. On verra cela à l'audience prochaine.
Propos recueillis par N. M.
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