Un meurtre avec alibi aux Assises de la Haute-Corse

Quatre affaires d'assassinats, qui relèvent du droit commun, sont au menu de la première session d'assises 2012 de Haute Corse qui a débuté lundi matin pour une durée de trois semaines. Le premier meurtre, celui d'Ange Albertini, restaurateur à Biguglia, survenu le 23 mars 1999, est jugé treize ans après les faits avec un prévenu comparaissant libre et qui bénéficie d’un double alibi. Les débats dureront quatre jours.  

La première affaire, qui ouvre la session d'assises 2012, est doublement singulière dans sa forme : jugé 13 ans après les faits, le prévenu, suspecté de meurtre, comparait libre ! On peut d'emblée s'interroger sur l'incroyable délai écoulé entre la date du crime, mars 1999, la mise en examen du prévenu, deux mois après, et le procès qui vient de s'ouvrir, treize ans après. Doit-on parler d'incurie de la justice ? La question ne manquera pas d’être soulevée.
Retour sur les faits
Le 23 mars 1999 à 23h15, Ange Albertini, restaurateur à Biguglia, est abattu dans son établissement La Paëlla par un homme cagoulé qui tente de commettre un hold-up. Le voleur fait irruption dans le restaurant, demande " des sous " et tire sur le restaurateur alors que celui-ci lui dit de rester calme. La victime, âgé de 57 ans, est blessée mortellement par deux projectiles d'armes de gros calibre, dont un mortel à la tête. Les deux témoins présents, dont le fils de la victime, décrivent le tueur comme un homme de taille moyenne, de corpulence mince, portant une cagoule blanche assez rigide et armé d'un pistolet marron à barillet.
Le 9 avril suivant à  22h30, Pierre-Philippe Donsimoni, également originaire de Biguglia, est arrêté en flagrant délit de vol à main armée dans le bar "L'Olmu" à Migliacciaro. Il porte une cagoule blanche et est en possession de l'arme du crime. Il explique que l'arme lui a été donnée par Constant Guagnini, décédé depuis, qui a nié le don.
Un prévenu libre
L'enquête établit des rapprochements avec d'autres vols à main armée commis dans des bars de la région bastiaise. Le mode opératoire, la cagoule blanche et le pistolet à barillet étant similaires, l'enquête conclut à une similitude de personne. Sans autre preuve matérielle. Les témoins ne reconnaissent pas formellement le prévenu, qui clame son innocence.
Incarcéré, il sera libéré  en 2004, le juge des Libertés ne renouvelant pas son mandat de dépôt pour manque de preuve. Il comparait donc libre.
Des antécédents judiciaires
Avant les faits, le prévenu avait déjà été condamné à 9 ans d'emprisonnement en 1992 pour vol à main armée dans le département des Alpes-Maritimes. Le 26 octobre 2001, il est de nouveau condamné à une peine de 7 ans de prison par le TGI de Bastia pour récidive de vols avec violence.
En plus de l’homicide jugé aujourd’hui, Pierre-Philippe Donsimoni est également poursuivi pour deux tentatives de braquage commis les 6 et 10 mars 1999 contre deux bars : Saint-Michel à Borgo et l'Affacada à Prunelli-di-Fium'orbu.
Durant cette première journée d'audience, la Cour, présidée avec placidité, mais toute en finesse, par David Macoin, a procédé notamment à l'audition du prévenu, de ses proches, et des amis de la victime. L’examen de la personnalité décrit l’accusé comme « travaillant peu mais avec un train de vie supérieur à ses moyens ». Ses proches, cités par la Défense, insistent sur sa gentillesse, sa disponibilité et sa serviabilité. Depuis sa sortie de prison, Pierre-Philippe Donsimoni semble s’être racheté une conduite avec un emploi stable.
Un double alibi
Le moment crucial a été l'audition de sa compagne Xavière Taddei qui, un an après les faits, lui fournit deux alibis, l'un pour le soir du crime, l'autre pour le cambriolage de l'Affacada. Malgré le scepticisme du président Macoin et les attaques du procureur Francis Battut et des deux avocats de la partie civile : Me Angeline Tomasi et Me Vaccarezza, qui malmènent son témoignage, elle reste ferme : " Je suis formelle, il est arrivé chez moi vers 22 heures". Les avocats de la défense, Me Jean-Louis Seatelli et Me Jean-Sébastien de Casalta, s’attacheront à gommer, avec adresse, à l’attention des jurés, les invraisemblances et les contradictions de ces alibis qui, de surcroît, ne cadrent pas avec la version de l’accusé. Ils joueront, également, sur la tentative de racket qu’aurait subi la victime dont le restaurant a essuyé des tirs avant d’être incendié et totalement détruit en 2000. L’audience se poursuit mardi avec, notamment, l’audition des experts.
                                                                                                                                 N. M.

Me Jean-Louis Seatelli : « Ce n’est pas un alibi »

Avocat de Pierre Philippe Donsimoni, Me Jean-Louis Seatelli revient sur la question du délai de treize ans écoulé entre l'instruction et le procès et sur l’alibi fourni par la compagne du prévenu.

- Pourquoi un tel délai entre l'instruction du dossier, la mise en examen et le procès ? À quoi attribuez-vous cette lenteur ?
- Demandez à l'avocat général !
- Peut-on parler d'incurie de l'instruction?
- Je pense qu’au niveau de l’instruction, ils se sont longtemps posés la question de savoir s’ils avaient les éléments suffisants pour envoyer mon client devant la Cour d’Assises. Ils ont finalement décidé de le faire.
- Pour quelle raison, votre client comparait-il libre ? C’est un peu étonnant dans une histoire de meurtre !
- Non. A partir du moment où, d’une part, il

avait atteint les trois ans de détention provisoire et que, d’autre part, il avait purgé la peine qui lui avait été infligée pour les faits pour lesquels il avait été arrêté, il était logique qu’on le libère. On ne pouvait plus le garder. 
- Sa compagne lui a, tardivement, fourni un double alibi, a-t-il été pris en compte par le juge d’instruction ?
- Ce n’est pas un alibi ! Sa compagne a été entendue par un juge d’instruction en 2007 et s’est expliquée sur ces faits. Son témoignage est un des éléments qui seront soumis à l’appréciation des jurés.
- Ce procès devrait durer quatre jours...
- Théoriquement oui. J’espère qu’il ne va pas durer 13 ans !
                       Propos recueillis par N.M.


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