Pierre Philippe Donsimoni a été acquitté du meurtre d'Ange Albertini, survenu le 23 mars 1999 à Biguglia, et des braquages des bars Le Saint-Michel à Borgo et l'Affacada à Prunelli-di-Fium'orbu. Le verdict, motivé au bénéfice du doute, est venu sanctionner une indigence de preuves matérielles qui avait, déjà, jeudi matin, conduit l'avocat Général à requérir une peine mesurée de 18 ans de réclusion.
Pierre-Philippe Donsimoni a été reconnu non coupable des trois principaux chefs d'accusation pour lesquels il était jugé depuis lundi à la Cour d'assises de Bastia. Les six jurés, qui doivent
dorénavant depuis le 1er janvier 2012 motiver leur verdict, ont estimé qu'il n'y avait pas assez de preuves pour établir qu'il était l'auteur, ni des braquages commis en mars 1999 contre les bars
Le Saint-Michel à Borgo et l'Affacada à Prunelli-di-Fium'orbu, ni du vol à main armée contre le restaurant La Paella à Biguglia qui s'est soldé par la mort du propriétaire Ange Albertini.
L'incompréhension de la partie civile
Juste après l'énoncé du verdict, Me Jacques Vaccarezza, l'un des deux avocats de la partie civile, a exprimé brièvement sa "surprise" et celle de la famille de la victime. "Je ne
vous cache pas que nous sommes profondément déçus, que vous avez en face de vous une famille Albertini effondrée, qui a, c'est le moins que l'on puisse dire, du mal à comprendre. Maintenant on
verra ce que fera le Parquet, parce que, comme vous le savez, la partie civile n'a pas la possibilité de former appel. Un appel, à mon sens serait la moindre des choses".
Pour Me Vacarezza, l'acquittement est "d'autant plus incompréhensible" qu'il y a eu "des reconnaissances formelles de la part des témoins des braquages qui avaient reconnu la cagoule
et l'arme".
La défense entendue
Du côté de la défense, le soulagement est visible. "La justice qui vient d'être rendue est tout à fait conforme à ce qu'on espérait avec Me De Casalta car lui, qui a suivi ce dossier, a
démontré que ces 12 ans de procédures étaient scandaleuses. Le résultat, qui en suit, est tout à fait logique au regard des charges qui pesaient contre notre client. Les éléments, qui permettent
une condamnation n'ont pas été recueillis et ce, malgré douze ans de procédure", commente, très satisfait, Me Seatelli, l'un des deux avocats de la défense.
Le temps de la justice
Pourtant la partie civile n'a pas ménagé sa peine. D'emblée, Me Jacques Vaccarezza a qualifié le dossier "d'abominable" et résumé l'affaire en trois mots : "Enfin, douleur,
colère". Trois mots pour rappeler que "la justice a pris son temps", mais qu'elle a fini par renvoyer l'accusé devant une Cour d'assises, même 13 ans après les faits. L'avocat fait
remarquer que "depuis le 8 avril 1999, il n'y a plus de braquage. Ce n'est pas une coïncidence !" Prévenant contre la bonne apparence du prévenu : " quelqu'un qui présente bien,
propre sur lui, forcément calme", il égrène la longue liste de ses cambriolages. À la question essentielle du mobile, il justifie le meurtre par le manque de docilité de la victime, avançant
que le braqueur a cédé à la panique.
Le spectre de l'erreur judiciaire
Lui emboitant le pas, Me Angeline Tomasi va, habilement, articuler sa plaidoirie sur deux axes : les faits incontestables et les invraisemblances. "Cela fait 13 ans que j'attends"
lance-t-elle, en préambule, "Je n'ai jamais quitté ce dossier. Je n'ai jamais désespéré, même si le délai n'est pas acceptable." Anticipant les possibles arguties de la défense, elle
table, d'abord sur le professionnalisme des "17 magistrats" qui ont instruit le dossier pour écarter " le spectre de l'erreur judiciaire", considérant qu' ils n'ont "jamais
douté de la culpabilité" de l'accusé. Pour l'avocate, "il n'y a qu'un seul braqueur" et toutes les affirmations du Pierre-Philippe Donsimoni ne sont que des "parefeux".
Elle qualifie les rumeurs désignant un autre assassin "d'intox". S'appuyant sur les déclarations des témoins des différents cambriolages, elle estime que la similitude des armes et du
modus operandi charge Donsimoni qu'elle accuse de ne "jamais donner d'emploi du temps pour être sûr que la police ne peut le vérifier". Elle accepte l'alibi de Xavière Taddei, mais
récuse l'heure, avançant une heure beaucoup plus tardive qui rend l'alibi caduc. Enfin, Me Tomasi évacue l'un des vides du dossier : l'absence de mobile en avançant la thèse que le meurtre a été
commis dans un moment de panique par un braqueur, qui n'avait pas l'intention de tuer. "Je sais bien que vous n'êtes pas rentré à la Paëlla avec l'intention de tuer " concède-t-elle
avant d'assener : " À l'origine, vous n'êtes pas un tueur, mais vous avez cédé à la panique et c'est un braquage qui a mal tourné". S'adressant aux jurés, elle conclut : " Je vous
demande de faire en sorte qu'Antoine Albertini n'ait pas péri en vain".
Un réquisitoire mesuré
Un braquage qui a mal tourné, c'est également l'avis de l'avocat général. Mais si pour Francis Battut, la culpabilité du prévenu ne fait aucun doute, il ne requiert pas la prison à perpétuité,
qui est la peine encourue pour vol à main armée, suivi de meurtre. Il concédera, lui aussi, que Pierre-Philippe Donsimoni n'avait pas l'intention de tuer, qu'il a enclenché un tir en réaction
contre Ange Albertini qui s'est levé. Il va, comme la partie civile, s'appuyer sur la similitude du mode opératoire dans les quatre braquages du Saint Michel, de la cagoule et de l'arme pour
requérir 18 ans de réclusion criminelle pour tentative de vol à main armée avec circonstances aggravantes ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Un réquisitoire mesuré, dans le droit
fil des plaidoiries de la partie civile, mais pourfendu par la défense, qui demande l'acquittement.
Une indigence de preuves
Une cagoule et une arme, c'est un peu mince pour condamner un homme à 18 années d'emprisonnement, c'est, en substance, le discours développé pendant trois heures par les avocats de la défense.
Dans une minutieuse plaidoirie, Me de Casalta s'est attaché à déminer point par point un dossier qu'il connait parfaitement. "On voudrait lui appliquer une justice au rabais qui s'accroche
désespérément à une cagoule et à une arme. On veut dire qu'il est coupable parce qu'il faut un coupable". Parlant de "dossier insuffisant, de carences ", Il explique le délai de
l'instruction par le fait que "le scénario de la culpabilité a été difficile a écrire". Il développe la thèse d'une équipe de tueurs qui se partagent "un lot d'armes en indivision
qui a voyagé de mains en mains et a été utilisé par d'autres" et pose le décor d'un homicide volontaire sur fond de racket qu'aurait subi la victime.
Le bénéfice du doute
"L'homme que nous défendons doit voir le doute lui profiter" enchaîne Me Seatelli. Pourfendant la théorie selon laquelle la mort de la victime serait la conséquence d'un braquage qui a
mal tourné, il assène : "Le meurtre n'est pas le subsidiaire d'un hold-up, mais le principal de ce qui nous occupe". A la suite de son confrère, il oriente son scénario sur un autre
coupable en s'interrogeant sur l'absence de prélèvements ADN, qui aurait permis de disculper le prévenu. "On ne répare pas un malheur par une injustice. Alors acquittez-le !"
Avant que les jurés ne se retirent pour délibérer, Pierre Philippe Donsimoni, très ému, a, encore une fois, clamé son innocence : "Je comprends la douleur de la famille Albertini, mais je ne
peux pas endosser ce meurtre-là. Je n'ai pas pu faire ça !"
Les six jurés de la Cour d'assises l'ont entendu.
N. M.
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