C’est indéniablement la manifestation cinématographique la plus populaire de Corse. Après 24 ans d’existence ininterrompue, le festival du film italien continue de faire salle comble tous les soirs. Cette nouvelle édition, placée sous le signe de la bonne humeur, permet à un public, pas seulement bastiais mais aussi largement insulaire grâce à des projections décentralisées, de découvrir un cinéma, peu visible par ailleurs sur les écrans français. Explications de Jean-Baptiste Croce, responsable de la programmation et l’un des deux maîtres d’œuvre avec René Viale de ce succès.
- C’est la 24ème édition du festival du film italien…
- Exactement. La première édition a eu lieu en février 1988. Nous l’avions organisée à deux avec René Viale et, 24 ans après, nous sommes toujours ensemble. Cette manifestation est allée
crescendo dans le succès, dans la sélection et la quantité de films. Elle a pour but d’offrir un panorama du cinéma italien dont le public corse est friand depuis toujours.
- Y a-t-il une recette à cette longévité et à ce succès ?
- Il faut donner à un public de province comme celui de Corse et de Bastia ce qu’il demande. Le public bastiais aime beaucoup le cinéma italien et la comédie. Il est avide de faire des rencontres
et de découvrir ce qui se passe dans la péninsule en matière artistique. Le problème, c’est qu’en France, à cause d’une crise de la distribution, une majorité de distributeurs frileux ou avides
de gros sous ne veulent pas prendre de risques et préfèrent distribuer des films américains de seconde ou troisième zone plutôt que des films européens, notamment anglais, espagnols et italiens.
A titre d’exemple, 107 films ont été produits et réalisés en Italie en 2011 et une dizaine seulement est sortie en France. Le public ne voit plus de films italiens et passe souvent à côté de
chefs d’œuvre, tant dans le style drame que comédie. Pendant toutes ces années, avec René Viale, nous avons voulu faire connaître ce cinéma qui ne sortait plus en France et que les gens ne
voyaient pas.
- Voulez-vous dire qu’il y a des films qui ne sont visibles que dans le cadre de ce festival et que les cinéphiles ne pourront pas voir ailleurs ?
- Exactement. Sur les 24 films présentés cette année, 15 sont inédits en France. Je ne sais pas, si, par exemple, Tatanka, de Giuseppe Gagliardi, l’un des meilleurs films de cette sélection,
sortira sur les écrans français. Depuis des années, nous faisons la promotion de Carlo Verdone, un acteur-réalisateur comique romain qui est une star en Italie au même titre que Louis de Funès en
France, il y a trente ans. Aucun de ses films n’est sorti en France.
- Comment se caractérise cette 24ème édition ?
- Cette édition a été concoctée pour faire rire. Elle a été placée volontairement sous le signe de l’humour et de la comédie. Nous avons voulu, dans une année morose où les gens ont beaucoup de
soucis, que ce festival soit une bulle d’oxygène culturelle où ils puissent se divertir et se détendre dans une bonne humeur communicative.
- Et ça marche ! Vous faites le plein tous les soirs.
- Cela marche très fort. Nous allons battre des records d’affluence parce que, tous les soirs, le théâtre de Bastia est archicomble.
- Peut-on déjà mesurer le nombre d’entrées ?
- Globalement, nous réalisons, chaque année, entre 18 000 et 20 000 entrées sur une semaine. L’an dernier, nous avons totalisé 20 000 spectateurs. Cette année, nous serons dans cette fourchette,
peut-être même un peu plus. Ce nombre englobe aussi les entrées décentralisées car les films ne sont pas projetés uniquement à Bastia.
- Où sont-ils projetés ailleurs ?
- Les films passent à Bastia au théâtre municipal et au cinéma Le Studio. Certains sont également projetés, cette semaine et la semaine suivante, à Furiani, à Abbazzia, en plaine orientale, à
Porto-Vecchio, à Sartène, à Ile Rousse et à Corte. Les gens du milieu rural peuvent ainsi les voir.
- Y-a-t-il autant d’engouement dans le milieu rural qu’à Bastia ?
- Il y a beaucoup de spectateurs jeunes et de scolaires et nous avons de très bons retours, même s’il y a moins de monde qu’à Bastia. Le festival du film italien est devenu la manifestation
culturelle intra-muros la plus populaire de Corse. Porto-Latino à Saint Florent ou Les nuits de la guitare à Patrimonio peuvent accueillir 5 000 personnes en une seule soirée, mais ce sont des
festivals en plein air.
- Quels sont vos projets pour l’avenir ?
- Nous essayons toujours de faire mieux, de plaire encore plus au public et d’être à son écoute. Et bien sûr, de continuer à faire découvrir des films et des artistes italiens nouveaux.
- Depuis 24 ans, quelle évolution a subi le cinéma italien ?
- Une évolution au niveau des scénarios. Beaucoup de jeunes artistes, qu’ils soient scénaristes, acteurs ou réalisateurs, posent un regard critique, voire grinçant ou acerbe, sur la société
contemporaine et réalisent des drames basés sur l’émotion ou tournent en dérision tous les maux de la société italienne. Ces cinéastes ont laissé de côté les grandes productions historiques,
style Visconti, pour s’intéresser au moment d’aujourd’hui.
- Le cinéma italien a produit de très grands réalisateurs. On le dit aujourd’hui en crise. Cet âge d’or est-il terminé ?
- Il faut être réaliste : Visconti, Fellini, Rosselini, Antonioni et, dans un style plus léger, Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola appartiennent à un âge d’or révolu. Sincèrement, je ne
pense pas qu’il y ait aujourd’hui un Fellini ou un Visconti en Italie. Il y a des réalisateurs qui ont du talent, qui travaillent en essayant de faire au mieux.
Propos recueillis par Nicole MARI
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