Chaque été, le problème d’eau est récurrent en Corse, alors que l’eau coule en abondance. Si la neige, qui s’est installée sur l’île, éloigne le spectre de la sécheresse, l’Office
d’équipement hydraulique de Corse (OEHC) reste vigilant. Sa présidente, Emmanuelle de Gentili, fait, pour Corse Net Infos, le point sur une situation que le retard d’aménagement structurel et la
forte pression touristique rendent délicate et expose les priorités pour 2012.
- L'hiver trop clément vous inquiétait, la neige éloigne-t-elle le spectre de la sécheresse…
- Les barrages se remplissent peu à peu. Notre rôle est qu’ils soient pleins aux mois d’avril et de juin par la fonte des neiges. Néanmoins, il est nécessaire d’anticiper. Plus les années
passent, plus le risque de sécheresse s’accentue.
Nous allons mettre en place une cellule de gestion de la sécheresse pour éviter au maximum les restrictions.
- Quelle est la consommation hydraulique insulaire ?
- Notre capacité de stockage est de 43 millions de m3. Notre consommation atteint globalement 28 à 30 millions de m3. Mais certaines zones peuvent souffrir de manque. Quand une zone est
interconnectée comme à Porto-Vecchio, on peut basculer l’eau d’un barrage à un autre.
- Quelles sont les zones les plus sensibles à la sécheresse ?
- Le Sud et la Balagne sont les deux zones qui subissent la plus forte pression touristique. Sans cette pression, il n’y aurait pas de problèmes. C’est pour cela que l’Office travaille, dans le
cadre du développement durable, à l’approvisionnement en eau brute des non-agriculteurs pour arroser les jardins, etc. Une commune, comme Bonifacio, est obligée de surdimensionner ses stations
d’épuration parce que les particuliers n’ont accès qu’à de l’eau potable, traitée, qui coûte plus cher et est anti-développement durable. Elle est obligée d’investir toute l’année pour faire face
à quatre mois d’été. Ces investissements, qui bénéficient au tourisme, sont subis par la population hivernale. Aussi sommes-nous en train d’étudier sur le plateau bonifacien un projet de zone
d’approvisionnement en eau brute pour les particuliers.
- Le schéma d’aménagement hydraulique est très en retard…
- Oui. Il a été voté en 2005 pour dix ans et prévoyait d’investir 80 millions d’euros pour développer des réserves inter-saisonnières en vue de pallier une sécheresse éventuelle ou au moins les
pics estivals. Or, en 2010, seuls 14 millions avaient été utilisés. En 2011, 12 millions de projets ont été lancés, la capacité d’investissement a été multipliée par 3 pour rattraper le retard.
C’était une priorité majeure.
- Quelle sera votre action en 2012 ?
- Elle est double : d’abord, accélérer la remise à niveau des réseaux pour améliorer leurs rendements. Certains sont vétustes, datent de la SOMIVAC et génèrent des pertes. Nous essayons
d’intervenir au plus vite sur les plus grosses fuites et les pannes, mais nous n’avons pas les moyens financiers de changer tous les tuyaux qui mériteraient d’être changés. Ensuite, mettre en
place une politique jour/nuit pour jouer sur les débits des barrages, en n'approvisionnant la nuit qu’une partie de la capacité des tuyaux, suffisante pour alimenter tout le monde, ce qui
permettra d’économiser l’eau pour la journée où les besoins sont plus forts.
- Les agriculteurs réclamaient des extensions de réseau. Ce problème a-t-il été réglé ?
- Oui. On l’a réglé en un an en actant 15 millions d’euros de projets, qui sont en cours de mise en œuvre. Certains seront terminés en mars et en juin. Pour d’autres, des contraintes foncières
restent à lever. Nous avons réussi à décrocher des moyens financiers que, pendant 15 ans, personne n’avait décroché grâce à un consensus. Le Conseil d’administration, les syndicats agricoles, les
agriculteurs et des représentants des territoires se sont fédérés.
- Donc, il n’y a plus de crise avec les agriculteurs ?
- Il peut toujours y avoir des crises si des zones ne sont pas assez prises en compte, si l’approvisionnement prévu ne dessert pas l’ensemble d’une zone à cause de paramètres, comme le potentiel
de débit. Des exploitations sont parfois trop éloignées ou trop en hauteur et ne peuvent pas être alimentées.
- Que faites-vous dans ces cas-là ?
- On voit au cas par cas. Les extensions de réseau, étant éligibles au PEI, nous essayons de mettre en place des projets structurants et de les densifier. De nouveaux projets agricoles se
forment, la machine se réenclenche. L’exemple des vergers de Pigna est emblématique. Des agriculteurs s’installent en accord avec la Chambre d’agriculture, l’Odarc et les syndicats agricoles qui
ont joué un rôle important pour valoriser les activités en adéquation avec les lieux. Des demandes agricoles émergent aussi à Ponte Leccia ou dans le Grand Ajaccio où il n’y pas d’eau
brute.
- Quels sont les projets en cours concernant la production d’eau ?
- Une réserve souple vient d’être livrée à Guazzo. La prise d’eau de Figarello est en cours. L’étude du Cavu est entrée dans sa phase 2. Des études vont être lancées sur le Taravo pour l’énorme
barrage de l’Olivese qui sera le plus important de Corse et sur le projet de construire un second réservoir alternatif à Sanbuccu en Balagne, en plus de Codole. Ces projets exigent un travail
administratif énorme parce que la réglementation européenne est draconienne en matière d’eau et les directives nationales compliquées. Nous essayons de travailler en temps recouvert entre la mise
en œuvre des projets, l’étude de nouveaux projets et la coopération avec nos voisins : le Canal de Provence, le Languedoc Roussillon et la Lozère.
- Quel type de coopération ?
- Par exemple, la Lozère, qui n’a pas de capacité de stockage, veut nous acheter notre système de réserve souple, moins agressive pour l’environnement qu'un barrage. Par exemple, les bâches
blanches amovibles de Rogliano permettent de faire des retenues d’eau, de les couvrir et de contenir de l’eau traitée. Ce système, développé par l’Office hydraulique et le fournisseur des bâches,
a évolué en fonction de problématiques telles que la température, la salinité ou le PH. La Corse a ainsi acquis un savoir-faire. La Lozère, qui ne l’a pas, veut utiliser ce système et nous
l’aidons à créer une petite bâche résistante au gel pour l’adapter aux périodes de fort gel qu’elle traverse.
- Et avec Canal de Provence ?
- C’est un échange de gouvernance. Canal de Provence supervise tout son réseau et peut déterminer le débit de chaque point de stockage. Nous avons mis en place un schéma directeur d’aménagement
numérique qui nous permettra de tout centraliser, de mettre à niveau toutes les installations physiques de l’Office, d’interconnecter toutes les structures et d’avoir une vision physique de
toutes nos installations par la pose de débitmètres pour vérifier s’il y a des pertes, etc. Nous avons, dans certaines zones, une problématique liée à l’absence de téléphone et d’électricité,
c’est un agent qui va sur place prendre les mesures.
- Qu’allez-vous faire alors ?
- Plusieurs dispositifs peuvent être déployés, notamment le data vising avec l’informatique et les liaisons satellites. Canal de Provence, confronté au même problème, a développé des systèmes
hybrides avec du photovoltaïque et des petites éoliennes qui fournissent l’électricité nécessaire à une communication. Il veut nous associer dans un pôle de compétitivité pour travailler sur ces
sujets-là. En parallèle, nous avons fait voter en Corepa (Comité Régional de Programmation des Aides) le financement de ce schéma numérique.
- Prenez-vous en compte le développement durable ?
- Oui. Par exemple, nous avons initié une thèse sur les cyanobactéries présentes sur le barrage de Podole. Cette algue, très dangereuse, se développe quand il fait très chaud, le niveau du
barrage baisse trop et l’eau ne se renouvelle pas. Pour l’instant, il n’y a pas de problème mais nous anticipons. Nous avons envoyé la thésarde en stage en Sardaigne où cette algue prolifère. La
Sardaigne, qui n’a jamais d’eau, où il pleut une année sur trois, a construit de nombreux et splendides barrages, qui sont très mal entretenus et pullulent de cyanobactéries. Certaines années,
des zones d’approvisionnement sont fermées pour éviter les risques sanitaires. Nous travaillons également, avec le SDIS, sur un projet de brumisation pour la prévention des feux de forêt. Cette
technique, économe en eau, peut sauver des zones difficiles d’accès comme des refuges du Parc ou des hangars agricoles en piémont. Enfin, nous participerons, en partenariat avec le Canal de
Provence, au forum mondial de l’eau à Marseille en mars.
Propos recueillis par Nicole MARI
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AZEZU (mardi, 14 février 2012 23:21)
Le jour ou on comprendra que l'avenir de la Corse n'est pas dans le tourisme !
pasqualina (mercredi, 15 février 2012 15:01)
et les fameux golfs on gère comment leur arrosage ? au goutte à goutte ?