Tout juste installé à la tête du Parquet général de Bastia en remplacement de Paul Michel, Marc Désert juge, pour Corse Net Infos, la situation de la criminalité en Corse et liste ses priorités d'action. Dans sa ligne de mire : la prolifération des armes, le trafic de drogue, la spéculation foncière, la mainmise du grand banditisme sur l'économie et les avoirs criminels. Pour le nouveau procureur général près la Cour d'appel, la lutte contre la violence est l'affaire de tous. Il appelle les Corses à s'y engager.
- Comment jugez-vous la situation de la criminalité en Corse ?
- Ce qui m'apparaît de prime abord, c'est que le taux de criminalité est relativement modéré. La délinquance générale est assez bien maîtrisée. Son traitement judiciaire est excellent. Le taux de
réponse pénale est de 95 %. Le taux de réponse rapide est de 92 %, c'est-à-dire que 9 personnes sur 10 arrivent devant le tribunal correctionnel dans les deux mois de la commission des faits. Les
comparutions immédiates pour les faits les plus graves et les multiréitérants ont été multipliées. Il y en a eu plus de 400 au cours de l'année écoulée. Le vrai problème, c'est la violence,
toutes les formes de violence, et plus particulièrement certaines formes liées au grand banditisme. C'est sans doute sur cet axe-là que je vais essayer de me battre d'abord.
- La diminution du nombre important d'homicides est-elle un de vos objectifs ?
- Non. Ce que je vais me fixer comme objectif, ce sont les moyens pour lutter contre cette criminalité. Ensuite, j'espère que la conséquence sera d'abord l'identification d'un certain nombre
d'auteurs, leur jugement par la Cour et, à partir de là, dans la mesure où il n'y aura pas d'impunité, j'en attends, bien sûr, une diminution du nombre de ce type de crimes.
- Quels moyens comptez-vous privilégier ?
- Les moyens, c'est lutter encore et toujours contre le nombre d'armes, beaucoup trop important en Corse. Il y a une arme déclarée pour dix habitants. Comme elles ne sont pas toutes déclarées,
cela signifie qu'il y en a beaucoup plus ! Les armes alimentent la violence. Les formes les plus exacerbées de cette violence sont liées à la spéculation foncière et au trafic de stupéfiants. Il
faudra une action encore plus soutenue, que celle existant actuellement, au niveau, à la fois, du Groupement d'intervention régionale et de l'appréhension des avoirs criminels. On sait très bien
que certains délinquants intègrent la case prison dans leur parcours criminel. La meilleure sanction que l'on peut prononcer, c'est la confiscation des bénéfices obtenus grâce aux crimes.
- Le pôle financier en Corse fonctionne peu et mal. Comptez-vous le réactiver ?
- On ne m'a pas dit que le pôle financier fonctionnait mal. Je ferais le bilan. Il y a sans doute des choses à améliorer. Je m'efforcerai de les améliorer. Il me paraît évident qu'une partie de
la criminalité la plus violente est en relation avec la spéculation foncière, la prise de contrôle d'un certain nombre d'activités économiques et le trafic de stupéfiants. Donc, l'étude de
l'environnement économique et de la composition du patrimoine de certaines personnes, qui sont peut-être devenues un peu rapidement riches, sera un atout supplémentaire pour initier des enquêtes,
et pas seulement permettre de résoudre un certain nombre d'enquêtes existantes. L'appréhension et la confiscation des avoirs criminels sont essentielles.
- Ce sera donc votre action prioritaire ?
- Oui. C'est le vrai problème, celui qui actuellement inquiète le plus les Corses, les autorités, l'Etat, les magistrats et le magistrat que je suis. C'est le plus inquiétant même au niveau du
fonctionnement de la démocratie. Parce qu'à un certain moment, ce type de violence peut peser sur la liberté de décision de certains élus, ce n'est pas acceptable. Et c'est sur cet axe-là que je
vais essayer de m'engager de manière prioritaire. Mais je n'y suffirais pas si je suis isolé, j'ai besoin du soutien de toute la société corse, c'est-à-dire de la société civile, des élus, des
médias. Je vois, dans l'initiative de l'assemblée de Corse de créer une commission sur la violence et d'engager un débat sur le sujet, les prémices d'une démarche de ce type.
- Que peut apporter de concret cette commission sur la violence ?
- Déjà, elle va permettre un échange, une réflexion, peut-être une prise de conscience et un certain nombre de décisions. On n'a pas bâti Paris en un jour. On ne résoudra pas ce problème-là,
auquel d'autres ont travaillé bien avant moi et qui étaient certainement au moins aussi compétents que moi, en quatre matins. Je pense qu'il faut un engagement de toute la société corse. On ne
peut pas dire que c'est l'Etat qui va régler le problème. La sécurité n'est pas l'affaire unique de l'Etat, c'est l'affaire de tous.
- Que peut faire la population corse contre les assassinats ?
- La lutte au quotidien contre la violence n'a pas besoin de spectateurs ou de censeurs, elle a besoin d'acteurs. Et, chacun, à son niveau, à travers un comportement citoyen, peut contribuer à
faire diminuer la violence. Cela commence à travers l'éducation, à l'école. Il existe avec l'ensemble des élus des points de contact qui sont les conseils locaux de sécurité et de prévention de
la délinquance, les conseils départementaux de prévention de la délinquance et d'aide aux victimes, les groupes locaux de traitement de la délinquance et les conseils sur les droits et devoirs
des familles. Il y a des possibilités de travailler sur le thème de la violence avec les jeunes, qui sont les adultes de demain et qui vont faire la Corse.
- On vous a parlé de la spécificité corse. Comment l'appréhendez-vous ?
- J'ai un tout petit peu circulé. J'ai été procureur de la République à Castres, à Montauban, à Fort de France, à Angers, à Grasse, à Lyon. Chaque région a son identité. La Corse n'est pas la
seule à en avoir une. Je suis occitan, mon père parlait occitan, je le comprends. Et, dans son histoire, l'Occitanie a fait preuve d'un certain irrédentisme, notamment avec le catharisme. La
Corse est unique et originale, mais parmi beaucoup d'autres régions qui sont également uniques et originales.
- Il y a quand même des différences sensibles, notamment pour un magistrat ?
- Que les Corses arrêtent de se vivre comme des êtres à part ! Ils sont différents, mais nous sommes tous différents. La violence en Corse, il faut en venir à bout d'une manière ou d'une autre.
On en viendra à bout ensemble ou on n'y arrivera pas.
Propos recueillis par Nicole MARI
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