Au cours d'une audience solennelle, ce mardi matin, au Palais de justice de Bastia, Marc Désert a été nommé avocat général à la cour de cassation pour exercer les fonctions de procureur général près la cour d'appel. Ce magistrat occitan, qui a effectué une partie de sa carrière dans le Sud-Ouest, remplace Paul Michel, nommé procureur général près la cour d'appel de Grenoble.
C'est devant un parterre de magistrats, de représentants de l’Etat et de personnalités politiques que le nouveau procureur général près de la cour d'appel a officiellement pris ses fonctions,
mardi matin, à la tête du Parquet de Bastia. Etaient également présents Jean Louis Nadal, procureur général honoraire près de la Cour de cassation, qui a exercé ces mêmes fonctions à Bastia de
1991 à 1992, ainsi que le Premier président et le procureur général près de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, représentant la JIRS.
Un magistrat d’expérience
À 62 ans, Marc Désert a une longue expérience derrière lui. Sorti en 1974 de l'école nationale de la magistrature, il fait ses premières classes au Parquet de Toulouse pendant deux ans. Il y
revient en 1982 comme vice-président et en 1987 comme substitut général après un intermède de 5 ans en tant que juge d'instruction à Albi. Il devient progressivement chef de parquet de six
juridictions de plus en plus importantes : procureur de la République à Castres de 1984 à 1987, à Montauban de 1992 à 1998, à Fort de France de 1998 à 2001, à Angers de 2001 à 2005, à Grasse de
2005 à 2009 et à Lyon, son dernier poste.
Un ratio criminel élevé
« L’installation d’un procureur général constitue un événement de première importance », déclare le Président de la Cour d’appel, Philippe Herald, dans son allocution. Le magistrat va brosser,
pour le nouveau venu, un tableau du ressort insulaire. « La justice s’exerce dans l’île comme ailleurs avec des motifs de satisfaction », remarque-t-il tout en reconnaissant « des particularités
locales, prégnantes en civil, comme en pénal. Sur le plan pénal, il est indéniable que le ratio nombre d’habitants/nombre de crimes de sang est exceptionnellement élevé. Il se situe à 0,13 pour
1000 habitants alors qu’il est de l’ordre de 0,03 pour la France entière, soit un rapport compris entre 4 et 5 ».
Des crimes ordinaires
Le président Herald rappelle, ensuite, qu’au cours des quatre dernières années, la Corse a connu 88 meurtres ou assassinats et 71 tentatives et que chaque audience de rentrée judiciaire est
rythmée par la litanie des crimes de sang. Il estime « caricatural » d’en attribuer la cause aux « nationalistes qui règlent leurs comptes et parfois entre eux ou à des truands qui
s’élimineraient entre bandes rivales sous l’indifférence de la population et la complaisance des services de police et de gendarmerie ». La réalité insulaire est surtout marquée, selon lui, par
des schémas de crime ordinaire, comme en métropole, sans lien avec le nationalisme, le grand banditisme ou une quelconque dérive mafieuse. La preuve est que seul ¼ des affaires criminelles est
délocalisé au profit de la juridiction anti-terroriste à Paris ou de la JIRS à Marseille.
Lutter contre la détention d’armes
Pour le président de la cour d’appel, ces crimes de sang connaissent même une diminution légère, mais continue sur les deux dernières décennies. « Ce qui a progressé, c’est le retentissement
couplé d’un vif sentiment de rejet qui est devenu plus fort dans la société ». Néanmoins, il va insister sur la nécessité de « poursuivre la lutte de tous les instants contre la détention d’armes
dans une île où historiquement la population a entretenu des relations privilégiées avec les armes et a toujours été fortement armée ».
Des procédures foncières
Il évoquera ensuite la seconde particularité insulaire en matière civile, à savoir la multiplication des procédures de succession/partage et de revendication immobilière. Un foncier très morcelé,
un régime fiscal particulier, l’absence de titres de propriété, la difficulté d’identifier les héritiers et la tradition culturelle de l’indivision expliquent, selon lui, la multiplication des
contentieux qu’il qualifie de « monstre juridique ».
Le plaider coupable
Face à l’énoncé de la situation judiciaire corse, le nouveau procureur général va s’attacher à tracer les grandes lignes de son action future.
« J’ai bien sûr souhaité cette nomination au parquet général de Bastia », entame Marc Désert avant de saluer « le niveau de performance très élevé de la justice en Corse dans le traitement de la
délinquance au quotidien ».
Plaidant pour une justice égale pour tous, le magistrat va également se féliciter du recours accru aux procédures acceptées et négociées. « Nous devons développer encore et encore le plaider
coupable. Cette procédure, dont le champ d’application vient encore d’être élargie, constitue une véritable révolution culturelle : le passage d’une justice sacralisée à une justice
contractualisée, d’une justice imposée, subie, à une justice acceptée, plus respectueuse de la personne, plus conforme à l’évolution des mœurs, plus humaine ».
L’union sacrée
Appelant ensuite à « une condamnation unanime » de la violence, à « l’union sacrée de toutes les composantes de la société » pour l’éradiquer, il va détailler les trois axes de son action. Il
confirme, à la suite de Philippe Herald, que la lutte contre la détention et la circulation des armes est une priorité absolue. Les investigations sur les patrimoines « trop facilement et trop
rapidement acquis » et l’appréhension des avoirs criminels constituent les deux autres priorités. Il entend également « réprimer sévèrement les entraves à la justice » et, nonobstant les
critiques pleuvant sur la JIRS de Marseille, il réaffirme l’utilité du recours à des services spécialisés ou à des procédures dérogatoires dans les affaires complexes.
Marc Désert va conclure sur la nécessité d’un travail partagé : « Une institution isolée, fut-elle la justice, ne saurait porter à elle seule la responsabilité trop lourde de la sécurité. Nous
réussirons ou nous échouerons ensemble ».
N. M.
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