Tout à la fois comédien, auteur et metteur en scène, Francescu Raffaelli administre à titre bénévole Les Productions du Théâtre du Partage, compagnie itinérante basée en Haute-Corse. Il présente, au festival E Teatrale, deux spectacles : Autour de la Fontaine, joué ce mardi, et Le Prophète de Khalil Gibran, jeudi à 18h30, à la Salle polyvalente de Lupino. Pour Corse Net Infos, il dresse un état des lieux du théâtre corse et explique la difficulté à en vivre.
- Comment se porte le théâtre en Corse, aujourd’hui ?
- Ce n’est pas glorieux, mais c’est mieux que ça ne l’a jamais été. C’est un gros bébé qui n’est pas loin de l’accouchement.
- Le festival E Teatrale affiche sa 8ème édition, peut-on en déduire que le théâtre insulaire a une activité pérenne ?
- Le festival existe depuis 10 ans, mais cette manifestation dépend des subventions publiques. Sans l’assistanat du politique et une certaine cooptation, il n’existe pas. Le problème de la
culture en Corse est le même que partout en France : sans une volonté politique, c’est économiquement peu viable.
- Est-ce facile pour une compagnie d’exister en Corse ?
- N’exister qu’en Corse, je suis très admiratif des gens qui y arrivent ! Ce sont des compagnies avec une majorité d’amateurs et seulement un ou deux professionnels, c’est-à-dire ayant un statut
social d’artiste. Seul 1/16ème des artistes français ont un statut d’intermittent du spectacle, ce qui signifie que les 15/16ème restants sont au RSA… Le statut d’intermittent laisse beaucoup de
monde dans la rue.
- Quelle est donc la réalité d’une compagnie locale ?
- C’est deux mois de spectateurs assurés en juillet et août puisqu’il y a 1,5 million de touristes en juillet et 2,5 millions en août. Par contre, le reste de l’année, sans subventions, la
plupart des compagnies ne survivrait pas ou ne créerait pas car il n’y a pas un public suffisant. Lorsque une compagnie travaille deux mois, qu’il n’y a que six salles sur toute l’île pour jouer
un spectacle, qu’une ou deux salles seulement peut l’acheter, que l’on s’autopromeut dans les 4 autres lieux… économiquement, c’est difficile. Comme dans toutes les autres régions, on ne peut
survivre en faisant un seul spectacle par an qu’avec une cooptation politique. N’étant pas subventionné, je suis obligé de créer 3 ou 4 spectacles par an et de tourner dans toute la France, sinon
je ne peux pas vivre.
- Le théâtre en Corse est-il une activité récente ?
- Non. Historiquement, il y a une tradition de forme théâtrale plus proche de l’improvisation, qui s’appelle I Chjami e Rispondi. On réglait des affaires et on débattait.
- C’est du théâtre pour vous ?
- Bien sûr que c’est du théâtre ! J’ai assisté à I Chjami e Rispondi avec des improvisateurs extraordinaires qui créaient une trame écrite à partir de ce qui ce passait, de l’actualité locale.
C’était tout à la fois de la satire, de la caricature, de la joute et parfois très écrit comme une poésie.
- Mais c’était de l’oralité et il manquait un lieu, le théâtre étant à la fois le texte et le lieu…
- Il leur manque le texte écrit. Le théâtre, pour être reconnu, doit être écrit. La racine grecque du mot théâtre signifie lieu de partage. Le théâtre, c’est encore aujourd’hui une église, une
place de village, une salle des fêtes… Le spectacle existe où il a besoin d’exister et, en Corse, il a toujours existé sous une forme moins conventionnelle, mais il y avait une vraie théâtralité
dans I Chjami e Rispondi, comme il y a beaucoup de théâtralité dans une cérémonie religieuse et dans le monde en général.
- Depuis quand existe-t-il des auteurs de théâtre en Corse ?
- Depuis la fin du 19ème siècle. Dans les années 50, des auteurs commencent à être joués et présentés dans des lieux qui ressemblent à des théâtres mais qui n’en sont pas encore. Dans le milieu
des années 80-début 90 apparait une réelle professionnalisation, mais on manque, pour élever le niveau, de maîtres.
- Qu’entendez-vous par maître ?
- Pour avoir un enseignement supérieur, il faut quelqu’un sur place qui le maîtrise et le donne lors de masterclass, de formations… Les Rencontres internationales artistiques d’Olmi-Cappella sont
un extraordinaire foisonnement de sensibilités. Robin Renucci, qui est passé par le Conservatoire, nous amène un savoir-faire, du haut académisme français. Il a fait venir gratuitement, en Corse,
Mario Gonzalès, l’un des fondateurs du Théâtre du Soleil, ainsi que des maîtres du Japon. Il a apporté une vie, une dynamique dans le Giussani, dans un endroit perdu, déserté et appauvri par
l’exode.
- Il est plus facile de voir une pièce de théâtre en Corse aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans…
- Il y avait des formes théâtrales dans les années 70. Les deux pères du théâtre corse, Jean Pierre Lanfranchi, président d’E Teatrale, et Guy Cimino du Teatrinu, faisaient du spectacle dans les
cafés. C’était du Chjami e Rispondi fixé en texte qu’ils adaptaient en fonction de l’endroit et de la politique du coin. Ces auteurs défendaient leur texte. Ensuite, nous sommes entrés dans la
période d’élévation du niveau de jeu. Beaucoup de comédiens sont revenus dans l’Île.
- Se passe-t-il beaucoup de choses au niveau de la création théâtrale ?
- Plus que jamais. Il y a une émulation due à des manifestations comme les Rencontres d’Olmi-Capella, le festival E Teatrale ou à des compagnies qui, plus ou moins par hasard, arrivent à être
promues sur le continent. Il n’y a pas encore de structure réelle, en tous cas pour le théâtre corsophone, même si U Teatrinu et Jean Pierre Lanfranchi agissent dans ce sens. Après il y a une
affaire de public.
- Y-a-t-il un public de théâtre ?
- Oui. Il y a un public de corsophones, mais, sans les subsides de l’Etat, beaucoup de pièces ne sont pas économiquement viables. Une pièce avec 1 ou 2 personnes est viable, mais à partir du
moment où Jean Pierre Lanfranchi monte Les joyeuses Commères de Windsor en corse avec 25 cachets de comédiens, des monteurs, une structure à déplacer, un décor… Sans les subventions, sans la
volonté politique, sans un public large, ce n’est pas jouable.
Propos recueillis par Nicole MARI
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Les Productions du Théâtre du Partage
La compagnie de Francescu Raffaelli regroupe 87 personnes dont des comédiens, des régisseurs, des costumiers, des décorateurs… et des bénévoles. Elle est un des rares exemples de compagnie
itinérante en Corse, où, pourtant, elle n’est présente que 4 mois par an. Pour survivre, elle est obligée de tourner 8 mois sur le continent : 4 mois en région PACA, à Avignon, dans l’Hérault et
4 mois en région parisienne. Elle compte des membres sur les trois régions et propose 12 spectacles
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