Le débat sur la nouvelle délégation de service public (DSP) aérienne a ouvert la session des transports de l'assemblée de Corse, jeudi après-midi. Si les élus, de tous bords, ont globalement décerné un satisfecit à la CCM et à la DSP sur le bord à bord malgré un bémol nationaliste, la DSP avec Air France sur la ligne de Paris a déchaîné une vague de turbulences dans l'hémicycle.
Le débat sur les transports aériens a débuté par un quasi-consensus sur la desserte du bord à bord attribuée à Air Corsica. Les négociations avec la compagnie régionale, qui ont eu lieu en décembre et en janvier derniers, ont abouti, assez facilement, à l'élaboration d'une DSP avec une offre améliorée en sièges et moins onéreuse en coût.
Un bord à bord moins cher
L'effort effectué par la CCM permet d'augmenter de 7 % la capacité de passagers, avec 100 000 sièges supplémentaires sur l'année tout en diminuant la compensation financière allouée par la CTC de 500 000 € par rapport à la DSP précédente. Les dessertes sur Calvi et Figari sont désormais quotidiennes sur les deux saisons, le tarif résident restant stable.
Cet effort a néanmoins un revers : le décontingentement des cabines, hors tarifs résidents, qui signifie la suppression du quota de places réservées à des tarifs sociaux, et le groupement des lignes Nord et Sud qui permet de basculer des vols dans les autres aéroports du même département.
Désaccord sur Paris
Le consensus a tourné court sur la desserte de Paris où l'opposition a éreinté, un à un, tous les points de l'accord.
Paul Giacobbi s'est attaché, en préambule, à rappeler "le contexte très difficile dans lequel les négociations ont débuté avec Air France" qui a affiché 809 millions de pertes en 2011, soit près de la moitié de son capital social. "Une négociation d'autant plus difficile que l'état major de la compagnie affichait sa volonté de quitter la Corse et d'abandonner ses escales". Il revient sur la faiblesse de la marge de manoeuvre de l'OTC qui a atteint la limite de sa capacité financière, suite au blocage de la dotation de la continuité territoriale.
Le président de l'exécutif insiste sur "l'impossibilité absolue de nous passer d'Air France qui emploie 500 personnes en Corse, en incluant les 45 salariés, et le manque de capacité technique de fournir le service de pointe, l'été".
Un coûteux accord
Le bras de fer de l'Office des transports pour obliger Air France à poser sa candidature a eu un coût effrayant : une surfacturation de 37 millions € par rapport à la DSP précédente. "Nous avons subi toutes les pressions possibles et imaginables car Air France a fait accroire à son personnel que les choses iraient mieux si la CTC se montrait généreuse. Mais nous n'avons pas 34 millions €", indique Paul Giacobbi.
Finalement, un accord a été trouvé à 41,5 millions € par an, soit 11 millions de plus que la DSP passée. "On a lâché 8 millions €, qui correspond à la moitié des pertes réelles. On a accepté une augmentation du tarif résident de 15 € au vu de la flambée des prix du pétrole", concède le président de l'exécutif. Ce dernier se félicite d'avoir obtenu d'Air France la publication des programmes des vols d'été pour permettre aux professionnels du tourisme de commencer les réservations.
Un fait accompli
L'opposition a unanimement critiqué la méthode de l'exécutif qui met les élus devant un fait accompli puisque la convention avec Air France est déjà signée et donc, remarque Ange Santini, les élus n'ont "aucune possibilité d'amendement qui remettrait tout en question". La clôture de la DSP actuelle, le 25 mars, rend toute nouvelle négociation impossible, sous peine d'entrainer une rupture dans la desserte Corse/Continent.
Un problème de méthode que soulèvera également Gilles Simeoni, pour Femu a Corsica : "Votre façon de travailler nous place dans des conditions où cette assemblée se limite à être une simple chambre d'enregistrement alors que c'est une assemblée délibérante".
Relayé par Paul-Félix Benedetti qui, pour Corsica Libera, qualifie ce fait accompli de "pas décent pour les élus que nous sommes. La précipitation sur un dossier aussi important nuit aux intérêts des Corses et aux intérêts financiers de la CTC".
Les limites du système
L'opposition s'est également accordée pour considérer que le système tel qu'il existe aujourd'hui, dans l'aérien comme dans le maritime, a atteint ses limites.
Ange Santini va regretter que l'accord sur l'aérien se fasse au détriment de prestations sur le maritime, puisque les 11 millions supplémentaires accordés à l'un manqueront à l'autre. Il dénonce le décontingentement des cabines, hors tarifs résidents, obtenu par Air France et qui devrait se traduire par une augmentation des tarifs généraux. "C'est une politique ultralibérale, bien plus libérale que la nôtre" daube l'ex-président UMP de l'exécutif.
Un vol trop matinal
Autre point d'achoppement, la modification des horaires du matin sur Paris où le premier vol, qui était programmé à 6h55, partira désormais à 6h. " Je ne suis pas sûr que le service rendu à la population soit meilleur. Nous arrangeons les choses au détriment des fondamentaux", poursuit-il.
La modification des horaires matinaux inquiète également les élus de la majorité.
"La désaffection de ce vol de 6h va reporter les passagers sur les vols de la veille, qui pourraient subir une surfréquentation, en plus du surcoût pour les résidents corses de devoir payer une nuit d'hôtel" s'inquiète Antoine Orsini. L'élu de Corse Social Démocrate demande une réorganisation des horaires.
Une situation de captivité
L'impossibilité argumentée par l'exécutif de ne pouvoir se passer d'Air France est dynamitée par l'opposition nationaliste. "La seule bonne raison de ne pas se passer d'Air France est une raison sociale avec 500 salariés corses. Les autres raisons sont contestables. On dit que nous n'avons pas les moyens techniques, matérielles et humains. Allons-nous nous accommoder encore de cette situation où ce qui est pour nous stratégique dépend d'intérêts extérieurs à la Corse ? Nous devons sortir de cette situation de captivité", plaide Gilles Simeoni qui ajoute "Nous sommes dans une logique de faillite si nous continuons comme cela".
Paul-Félix Benedetti va plus loin : "On a besoin d'Air France ? Pourquoi ? Pour acheter 2 autres Airbus !". L'élu nationaliste défend "une compagnie régionale unique avec la fusion des personnels d'Air France et de la CCM et l'harmonisation par le haut de leurs statuts"
Les élus de droite, pour leur part, argumentent sur la refonte du système dans la même teneur que celle proposée dans le maritime avec un service de base minimum et l'ouverture des dessertes à la concurrence pour développer la Corse."L'ensemble de l'économie de la Corse ne doit-elle dépendre que du service public ? " s'interroge Camille de Rocca Serra.
Un impôt levé sur les Corses
L'augmentation de 15 € du tarif résident occasionne une autre levée de boucliers, pas seulement nationalistes. "Vous avez fait une concession sur le coeur même du service public, qui est de permettre aux résidents de voyager dans des conditions tarifaires raisonnables", déplore Gilles Simeoni.
La charge sera encore plus rude du côté de Corsica Libera : "L'augmentation de 15€ sur le tarif résident est un impôt levé sur les Corses, qui équivaut à une taxe de 10 millions €. Il y a un transfert de charges de la CTC sur les habitants de la Corse", s'insurge Paul-Félix Benedetti.
Le chantage social
Omniprésente, la question sociale, notamment des salariés d'Air France et des Indignés qui ont envahi les bancs réservés au public, indispose les élus de tous bords. Si tous affichent une solidarité sans faille avec les salariés, ils dénoncent d'une même voix, communiste excepté, le poids que fait peser ce risque social sur la politique territoriale.
"Le risque social d'emploi et l'emploi sont les éléments déterminants des choix des transports de la Corse. L'emploi des sociétés de transport ne peut pas non plus mettre en danger le développement économique de la Corse", remarque Camille de Rocca Serra, résumant le sentiment général.
Au final, les deux DSP aériennes seront adoptées grâce à l'abstention de l'opposition et malgré son rejet quasi total du contenu des DSP proposées. Des considérations connexes ont eu raison de l'antagonisme des élus de droite et nationalistes. Mais le sauvetage économique de la saison 2012, la pérennisation de la desserte sur Paris et l'avenir des salariés d'Air France laissent un goût amer à une opposition prise entre le marteau et l'enclume.
N. M.
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