Président de l’assemblée de Corse, Dominique Bucchini a créé et préside la Commission Violences, qui a présenté son premier rapport d’étape lors de la session des 22 et 23 mars derniers. Pour Corse Net Infos, il tire le bilan d’une année de travaux et d’auditions de la société civile et revient sur l’indispensable consensus qu’il a arraché aux 51 élus territoriaux, comme un signal fort à l’opinion publique.
- Quel bilan tirez-vous de ces quelques mois de travaux ?
- J’ai respecté les engagements que j’ai pris lorsque j’ai créé la Commission Violences. L’an dernier, en mars, j’avais dit que je reviendrais devant l’assemblée faire un pré-rapport, un
rapport d’étape. Nous avons, en tenant compte des délibérations de l’assemblée, reçu des institutionnels, des universitaires, des sociologues, des gens qui se plaignent de la violence, pour
prendre le pouls de ce qu’on appelle improprement la société civile. J’ai interrogé l’ensemble des groupes de l’assemblée de Corse qui m’ont répondu par écrit. Nous avons travaillé tout le mois
de mars pour essayer de restituer ce que nous avons entendu dans un cadre de démocratie participative. Il était normal d’en tirer quelques enseignements avec un certain nombre de préconisations
dans un rapport d’étape.
- L’une des préconisations est la création d’un observatoire. Pourquoi faire ?
- Nous allons créer un observatoire pour parfaire la manière d’entrevoir la problématique de la violence en Corse, qui a changé. Nous allons poursuivre, pendant un an et demi encore, des
auditions, nous entourer de travaux d’universitaires et de scientifiques et préciser un certain nombre de données. Après, sans se prendre pour Don Quichotte, nous essayerons de tirer un plan, si
possible sur une génération, pour parler en particulier à la jeunesse.
- Quand cet observatoire sera-t-il créé ?
- On vient de délibérer. Il faut d’abord que je me tourne vers l’exécutif qui détient les moyens financiers et vers l’Etat pour savoir s’il accepte de nous aider. Ensuite, je ferais le point,
devant la commission, des décisions qui seront prises.
- L’autre préconisation concerne l’évaluation des politiques publiques. Pourquoi est-ce si important ?
- Parce que l’évaluation des politiques publiques va montrer où va l’argent. Les élus doivent donner l’exemple de la transparence. C’est l’approfondissement de la démocratie. Tout le monde a voté
cette préconisation. C’est une bonne idée, il faut la continuer et la poursuivre.
- Qu’est-ce qui vous fait dire que la problématique de la violence a changé ?
- Fût un temps, la Corse a connu une violence clandestine importante. La moindre des honnêtetés commande de dire qu’elle est devenue, aujourd’hui, moins importante. Depuis le développement du
littoral parfois débridé, le grand banditisme s’est engouffré dans cet espace, en certains endroits, où il y a de l’argent à faire. Incontestablement, les meurtres peuvent venir ou viennent même
de cet appât de gain, notamment en bord de mer. Il était nécessaire de réfléchir là-dessus et de réfléchir aussi à travers ce qui se passe en Corse, où il paraît que de l’argent sale circule. Et
de regarder aussi les expériences en Méditerranée. Des livres, sortis dernièrement, disent que la France est une place forte de ce maniement d’argent. Il faut nous atteler à bien cibler ce
phénomène pour pouvoir, avec la précision dialectique, sortir des pistes de réflexion.
- La spéculation foncière est-elle, comme beaucoup le prétendent, la première cause de la criminalité aujourd’hui ?
- Je le pense profondément. Des meurtres ont été commis sur le territoire de la commune que j’ai administrée durant 24 ans. A l’époque, il n’y avait pas de meurtres. J’avais préservé énormément
le littoral en faisant acheter, par le Conservatoire du littoral, 28 kms de côtes depuis Roccapina jusqu’à Belvèdère-Campomoro. Je n’ai donc pas de leçons à recevoir de quiconque à ce niveau-là
pour la préservation de notre environnement. En même temps, si vous faites des documents d’urbanisme, si vous ouvrez la constructibilité d’une manière inconsidérée, vous suscitez obligatoirement
des appétits voraces et les difficultés que nous connaissons avec bon nombre de familles endeuillées. Ce qui est regrettable.
- Est-ce ce qui ressort des auditions de la société civile ?
- Bien sûr. Je n’ai pas restitué mon point de vue. J’ai restitué, devant l’assemblée, le point de vue de la Commission et des débats. Si j’avais eu à faire un rapport sur la violence à titre
personnel, il aurait été, bien sûr, d’une autre nature.
- Quelle a été l’idée qui a prévalu dans tous les groupes ?
- C’était de dire : on va afficher nos différences. Et il y a des différences et des fractures franches. Mais, en même temps, est-ce que l’on va s’arrêter de discuter pendant que la Corse
s’enlise ? Non. Ce que l’on va faire, c’est d’essayer de trouver les points de convergence. Et je suis content qu’après le débat que nous avons eu, la délibération au niveau des
préconisations a été votée à l’unanimité.
- Mais cette unanimité et ce rapport ne parlent que des points de convergence et évitent les questions qui fâchent ! N’est-ce pas qu’un consensus à minima ?
- Non. On n’est pas dans un consensus à minima. On est dans des préconisations fortes. Il fallait que tout le monde soit d’accord. Il a fallu persuader et convaincre les membres de la commission
qu’il était nécessaire de partir dans ce sens-là. Ce n’est pas évident.
- Pourquoi ce consensus est-il si nécessaire ?
- Ce qui prévaut avant tout, c’est de pouvoir montrer ce consensus à l’opinion publique, alors que tout le monde, d’une manière ou d’une autre, demande la naissance d’un sursaut citoyen qui passe
obligatoirement par des corps intermédiaires. Ce ne peut pas être 10, 20, 30 ou 40 élus qui le font. Mais, 51 élus qui parlent en essayant de rapprocher leurs points de vue. C’est une démarche
pleine de dignité, qui a un caractère politique et plus de retentissement dans l’opinion pour dire : on veut vivre dans une société apaisée, sans trop d’échec scolaire, sans délinquance,
sans drogue, sans trafiquants, avec des femmes moins battues et des jeunes qui boiront moins d’alcool. C’est un signe fort que l’on envoie à l’opinion publique.
- Les élus doivent-ils donner l’exemple ?
- Les élus sont des gens comme les autres. Il y en a sûrement des bons et des mauvais, c’est le suffrage universel qui tranche. Mais dans le cadre de la responsabilité politique et citoyenne,
c’est aussi à eux de prendre position et c’est ce qu’ils ont fait lors du débat.
- Certains sujets délicats ont été écartés. Seront-ils encore débattus ?
- Bien sûr. Dans un premier temps, il faudra faire vivre un certain nombre de préconisations dans le cadre de la puissance régalienne de l’Etat. Pour cela, il faut se tourner vers les services de
l’Etat pour dire : au nom de la cohésion, telle qu’elle est voulue par 51 élus, qu’est-ce que nous pouvons faire ensemble ? Pour la simple raison que nous, collectivité, ne pouvons pas
agir seuls, nous n’avons pas les moyens financiers pour ce faire. Dans un deuxième temps, le débat va continuer.
- Beaucoup doutent de l’utilité de cette commission et de ses résultats concrets. Que répondez-vous ?
- Si c’était le cas, il n’y aurait pas eu unanimité.
- De plus en plus de maires sont confrontés à la violence. Comment réagissez-vous ?
- Je trouve cela proprement scandaleux. Moi-même, j’ai été confronté durant des années et des années à la violence.
- La violence dont vous avez été victime n’avait-elle pas d’autres raisons que la spéculation foncière ?
- Peut-être. Mais quelque soit l’origine ou le motif, ce n’est pas acceptable. Il faut qu’un élu, quelqu’il soit, puisse travailler, exercer ses responsabilités démocratiquement en faisant
participer les gens à l’élaboration de ses choix. On n’a pas le droit d’attenter à la vie d’un élu ou d’une autre personne, de tagger sa maison ou de faire des pressions. La Corse n’a pas besoin
de ça !
- Trouvez-vous qu’il est de plus en plus difficile d’être un élu local dans ce contexte ?
- Oui. Alors qu’il y a bon nombre d’élus qui, quelques soient leurs opinions, travaillent pour améliorer leur village ou leur ville en y mettant beaucoup du leur. Il faut respecter ça. Il n’y a
que le suffrage universel qui peut trancher.
Propos recueillis par Nicole MARI
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