Le projet de la nouvelle DSP maritime a été adopté, vendredi dernier, à l’assemblée de Corse par la majorité de gauche et les élus de droite. Malgré de nombreuses critiques et plusieurs amendements, le Front de gauche, porte-voix des revendications des marins CGT, a voté la fin du service complémentaire et de l’aide sociale, mais pas la création d’une commission d’études pour une compagnie régionale. Michel Stefani, élu territorial communiste, revient, pour Corse Net infos, sur la dimension sociale de cette question des transports et sur la sauvegarde du service public.
- Que pensez-vous du projet retenu par l’exécutif concernant la desserte maritime de la Corse ?
- Il y a eu deux délibérations importantes auxquelles s’est ajoutée une troisième délibération. La première affirme que nous ferons le choix d’une Délégation de service public (DSP) pour une durée de 12 ans à compter du 1er janvier 2014. La deuxième décide, dès lors que serait résilié le service complémentaire, de résilier également le dispositif d’aide sociale pour en modifier les modalités sans remettre en cause, bien entendu, le principe. La troisième met en place une commission qui va travailler sur la question de la faisabilité d’une compagnie régionale, type société d’économie mixte (SEM). Dans le contexte actuel, il faut sortir des débats en faux-semblant pour travailler à l’élaboration du cahier des charges de la prochaine DSP et à la mise en place d’un système qui pérennise l’activité des délégataires de service public. Tout cela sur un protocole d’accord transactionnel avec les actuels délégataires.
- Quelle est la position du Front de gauche ?
- C’est de maintenir une activité suffisante dans le cadre des disponibilités de la CTC, en particulier du point de vue financier. De manière à éviter ce qui, aujourd’hui, est présenté par certains comme une nécessité, à savoir un plan social aux répercussions importantes puisque des centaines de licenciements ont été annoncés par les dirigeants de la SNCM. Nous sommes prêts à y travailler.
- Vous avez fait plusieurs amendements au projet de DSP. Dans quel but ?
- Nous avons fait plusieurs amendements permettant de sécuriser la DSP au plan juridique. C’est une nécessité, compte tenu de l’expérience que nous avons avec certains opérateurs qui ne cessent de remettre en cause la souveraineté de la CTC devant les tribunaux. Nous voulons pouvoir travailler sereinement à la nouvelle DSP, dès lors que serait mise en place la convention transitoire qui permettrait, dans les 14 mois, de sécuriser l’ensemble de la desserte maritime.
- N’êtes-vous pas, en tant que défenseur des marins CGT, en porte-à-faux avec cette nouvelle DSP et le risque de 800 licenciements dont Paul Giacobbi estime que ce n’est pas le problème de la CTC ?
- Je n’ai pas compris ça dans les propos de Paul Giacobbi. J’ai entendu des intervenants, comme Camille De Rocca Serra qui considère qu’il faut pouvoir réfléchir à la question des transports en faisant abstraction de la dimension sociale. C’est une impossibilité évidente. Comment voulez-vous que des élus, alors que les choix qu’ils feront vont peser de manière aussi déterminante sur le devenir d’une entreprise et donc des salariés, puissent faire abstraction de cette dimension sociale ! Donc, il faut là-aussi sortir des faux-semblants, avoir une analyse pertinente sur les raisons qui ont conduit à la situation actuelle.
- Quelle est votre analyse ?
- Nous considérons que les dispositifs, mis en place à partir de 2002 pour mettre fin au monopole, ont conduit à une situation totalement aberrante. La CTC a financé, d’une part une DSP avec des Obligations de service public (OSP), et d’autre part a instauré un système concurrentiel qu’elle finance également et qui a écrémé le trafic aussi bien passager que fret sur la DSP. Ce système a été critiqué dès le départ, à juste raison, parce qu’il mettait en danger à la fois la desserte de service public dans son ensemble, mais aussi les équilibres financiers de la CTC. Il est arrivé à son terme. La difficulté aujourd’hui est d’éviter un drame social tout en garantissant le service public, les emplois et les moyens financiers de la CTC.
- Est-il encore possible d’éviter le drame social ?
- Bien entendu. C’est notre objectif et nous allons nous y employer. C’est la raison pour laquelle nous avons toujours dit qu’il ne suffisait pas de s’en remettre à la seule décision du juge. Le problème, qui nous est posé aujourd’hui, est la saisine du juge du contrat. Si le juge du contrat décide brutalement d’appliquer l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 7 novembre 2011, là, pour le coup, nous serions face à une situation terrible.
- Que se passerait-il ?
- Si le juge du contrat décide, seul, de mettre en œuvre les injonctions de la Cour d’appel, le service complémentaire est rayé d’un trait de plume et, avec lui, le Danielle Casanova, le Bonaparte et les 800 emplois qui vont avec. Voilà où nous en sommes, indépendamment des difficultés que peuvent rencontrer, par ailleurs, les deux délégataires qui, pendant tout ce temps, ont été privés de recettes importantes par le système dont je parlais précédemment.
- Pourquoi êtes-vous contre la desserte de Toulon par la SNCM ?
- Nous pensons que s’engager, comme l’ont fait les dirigeants de la SNCM, sur cette ligne de Toulon pose un problème dans la situation actuelle où la CTC doit mettre en place un dispositif nouveau, revu en profondeur, et où la SNCM annonce sur la ligne des pertes de 5 millions € aux conditions contestables du dispositif de l’aide sociale. Il aurait été préférable que le projet soit mis entre parenthèse, le temps que la CTC remettre à plat l’ensemble du dispositif de desserte maritime.
- Que pensez-vous de la proposition de Veolia de céder la SNCM à 1 € à la CTC ?
- C’est un faux débat qui pèse, détourne des enjeux essentiels et entretient inutilement l’inquiétude chez les salariés. Il faut arrêter de jouer de cette façon. Si les dirigeants de Veolia souhaitent s’en aller, ils ont, pour cela, une clause résolutoire, inscrite dans le contrat de privatisation, ils n’ont qu’à la faire jouer.
- La CTC a voté la création d’une commission d’étude d’une compagnie régionale. Pourquoi n’y êtes-vous pas favorable ?
- Le président de l’exécutif n’écarte pas cette possibilité si l’actionnaire principal actuel devait se retirer et qu’aucun autre actionnaire ne viendrait. Nous serions alors confrontés à une situation à laquelle il faudrait expressément apporter une réponse. Ce n’est pas ce que nous souhaitons. J’ai déposé un amendement pour engager une réflexion dans le cadre d’une SEM qui ne soit pas strictement locale.
- Se pose aussi la question du maintien de l’Etat dans le capital de la compagnie…
- On peut réfléchir à une SEM d’Etat. Nous en appelons à la responsabilité du gouvernement au sens de la garantie qu’il doit apporter au traitement équitable des citoyens sur l’ensemble du territoire national. Il faut que l’Etat garantisse une réindexation de l’enveloppe de continuité territoriale qui tienne compte de l’envolée du prix du baril. La surcharge combustible ne peut pas être supportée par la CTC seule. S’y ajoute la responsabilité de l’Etat en tant qu’actionnaire de la SNCM. Si Veolia s’en va, il faudra répondre à la situation nouvelle qui pourrait se créer. Je considère qu’il est de la responsabilité de l’Etat, à ce moment-là, de monter dans le capital de cette compagnie.
- Privilégiez-vous une reprise hypothétique par l’Etat plutôt que l’arrivée d’un nouvel actionnaire ?
- La question fondamentale n’est pas la structure juridique, c’est le service public dû à la Corse dans le cadre des principes de solidarité nationale et de continuité territoriale. Et, à partir de là, avec les emplois et les moyens navals nécessaires. C’est cela la réalité.
Propos recueillis par Nicole MARI
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