Après cinq ans d’absence, c’est le grand retour de Felì avec un nouvel album, A dì ti, de 11 chansons, sorti en Novembre et une tournée de trois concerts, dont ceux de Corte et d’Ajaccio qui ont fait salle comble. Avant le dernier, qui aura lieu, ce mardi soir, au Théâtre de Bastia, l’artiste se confie, à Corse Net infos. Avec générosité et sincérité, il parle de son album,plein de fraicheur, plus festif et plus rythmé, où le musicien s’essaye, avec bonheur, à l’écriture et s’ouvre à d’autres auteurs. Et évoque son engagement pour la langue corse.
Il est tombé dans la chanson, presque à sa naissance, avec un père chanteur et un grand-père violoniste. A 7 ans, il écoute en boucle« Dis-moi Mr Tony », la chanson de Tony Toga dont il essaye pendant des heures de retrouver les sons sur sa vieille guitare. Au lycée du Fango, il joue et chante en compagnie de Ceccè Pesch, Jean Claude Acquaviva ou Patrizia Gattaceca. C’est dire si le vivier était prometteur ! Il intègre le groupe A Filetta pendant trois ans, avant de suivre I Surghjente jusqu’en 1988. A la dissolution dugroupe, Ghjuvan’Teramu Rocchi, qui lui sert de mentor, lui conseille un carrière en solo. C’est ainsi que naît Felì et une collaboration qui dure depuis 25 ans de la première chanson « Terra è onde » à « À voline più ». Le premier disque, « Campà »,réalisé en 1989, avec peu de moyens, laisse déjà apparaître les qualités vocales et musicales du chanteur, qui ne cesseront de se bonifier. Enraciné dans la langue et la scène corse, généreux, sincère et passionné, il sillonne l’île et ses villages, donnant concert sur concert. Sollicité dans les écoles, il aide à la promotion de l'enseignement du corse et réalise avec les enfants un album de chansons : « Brame zitelline ». Il met son expérience pédagogique au service de « Scola in festa » qu'il crée chez lui à I Fulelli où, avec son équipe, il enseigne la musique et le chant à 200 élèves.
- Pourquoi cette nouvelle tournée ?
- Après quelques années d'absence dues à un petit passage à vide comme souvent il y en a dans la vie, j’ai travaillé pendant deux ans sur ce nouvel album qui est sorti en novembre. Cette nouvelle tournée est une suite logique. Quand on achète un album, on attend l'artiste sur scène pour matérialiser, mettre des images sur ce qu’on a entendu.
- En quoi cet album est-il différent ?
- Une nouvelle équipe a travaillé sur cet album, même si Jean-Bernard Rongiconi était déjà l'arrangeur du précédent. Nous avons
essayé, à la fois, de garder Felì intact avec ma façon de composer et l'écriture de Ghjuvan’Teramu Rocchi, mais avec la volonté d'aborder autre chose et de faire quelques petits réglages.
- Quels réglages ?
- Premier petit réglage : mes chansons ont la réputation d'être un peu tristes. C'est la vérité. Je ne m'en rendais pas compte, mais je me plais bien dans ce registre mélancolique. Quand je prends une guitare, le premier accord, qui me vient, est un accord mineur. Ce n'est pas par hasard. On ne se refait pas, mais, en travaillant, on arrive à se soigner !
- N'y a-t-il donc plus de chansons tristes ?
- Oui, mais nous avons essayé de les rendre rythmées. En analysant le travail fait auparavant et les essais réalisés pour cet album,nous nous sommes aperçus qu’il manquait un souffle rythmique. On ne peut pas chanter avec un orchestre comme on chante, seul, avec une guitare. Nous avons donc beaucoup travaillé.
- Justement, une autre nouveauté est que Felì ne chante plus tout seul avec sa guitare. Pourquoi ce choix ?
- Nous avons commencé le travail à deux avec Jean-Bernard Rongiconi. Des journées entières à rechercher des rythmiques… Ensuite se sont greffés des musiciens : Philippe Pimenoff à la batterie, Nicolas Zimako à la basse, Alain Bonin, Luciano Luisi qui a longtemps travaillé avec Zucchero au clavier et la participation très importante de Louis Pontieux, batteur-percussionniste qui œuvre pour les plus grands. Ce fut un apport intéressant car il a un regard très professionnel et extérieur. Nous avons vraiment travaillé en équipe pendant un an et demi. Nous avons réussi à enregistrer tous ensemble au studio L’Angelinu. Aujourd’hui, les albums ne se font plus comme ça parce que ça coûte très cher, mais le producteur Jean-Bernard Rongiconi a mis les moyens.
- Est-ce différent de travailler en groupe ?
- Quand tu travailles seul sur ta guitare, tu peux te balader sur la rythmique, tu n’as pas de tempo imposé, ni d’autre
instrument. Quand tu travailles en équipe, dans un orchestre, tu deviens toi-même un instrument. Tu ne peux pas faire une partie de guitare différente tous les soirs. Ne pas chanter sur le rythme
ou faire des interprétations différentes va gêner les autres musiciens.
- Un autre changement important concerne les
textes...
- Dans mes précédents albums, les textes étaient tous écrits par Ghjuvan’Teramu Rocchi, qui travaille avec moi depuis 25 ans. Et, ça fait 25 ans qu'il me dit de m'ouvrir à d'autres auteurs et d’écrire moi-même. Mais, j’ai tellement bien travaillé avec lui, en complicité, il m’a tout appris, que je préférais la sécurité. Je composais les mélodies, il écrivait les textes et, souvent, les
mélodies étaient composées avant les textes. Pour
cet album, il a écrit deux textes et j’ai fait appel à des auteurs comme Patrizia Gattaceca qui m’a donné un texte et Ghjacumu Fusina, deux textes. Tous les autres, je les ai
écrits. C’est la nouveauté.
- Quel est
le thème principal de cet album ?
- Je dirais que c’est la Corse, mais sans en parler. C’est notre envie et notre besoin de la défendre, comme toujours, mais avec des moyens un peu différents en traitant une langue moderne avec des thèmes modernes parce qu’une langue doit tout dire et ne pas se cantonner dans la nostalgie ou la revendication. Par exemple, la chanson titre de l’album « A di ti » est un clin d’œil au poème de Joachim Du Bellay : « Heureux qui comme Ulysse ». Ghjacumu Fusina fait, à la fois, référence à Ulysse et à ce qui m’est arrivé puisque je suis parti pendant deux ans. Il y a également une chanson sur l’adultère qui s’appelle « Ùn dite nunda ». Une autre est unhommage à tous les gens de ce pays qui ont travaillé pour faire une Corse plus belle, qui ont développé des entreprises notamment vinicoles et, partis de rien, ont donné leur courage et leur sueur, qui ont contribué à écrire la langue en poésie, à la chanter, qui se mobilisent, au-delà de toute pensée politique, chaque fois qu’il y a une injustice qui n’est pas comprise de l’autre côté de la Méditerranée, par exemple la mobilisation autour du 5 mai... Une autre chanson s’appelle « Sona » et parle d’une jeune fille assise dans un café où l’on chante. Elle est musicienne, mais n’ose pas s’approcher, peut-être a-t-elle peur, parce qu’elle est métis, je lui dis : viens avec nous, viens chanter ton monde parce que le nôtre te veut et si tu viens chanter le tien avec le nôtre, le monde tournera plus rond.
- Comment le public reçoit-il ce Felì nouveau ?
- L’album marche bien, il a été bien reçu par le public. Il y a des signes qui ne trompent pas. Lors des deux concerts de Corte etd’Ajaccio, dès que l’on attaquait une chanson du nouvel album, tout le public la chantait avec nous jusqu’à la fin. Les chansons sont reprises dans les cafés et les cabarets. Nous sommes contents parce que nous avons réussi à toucher le public avec une simplicité de mots, de musique, de mélodie et toute la technicité.
- Chanter en langue corse aujourd’hui est-ce un plaisir, un besoin ou un acte politique ?
- Indiscutablement, c’est un acte politique. Le corse reste une langue régionale, même si, pour nous, elle est autre chose. En chantant en corse, on n’aura jamais les Victoires de la Musique du meilleur album, on sera toujours catalogué dans la World Music, mais ça n’a pas d’importance.
- Est-ce un choix de départ ?
- Oui. C’est un choix, un engagement. J’ai commencé à chanter en corse en 1982 avec A Filetta. Même si mon environnement musical de l’époque pouvait être français ou
international : les Stones, les Beatles, etc, et qu’il m’arrive dans les cabarets de chanter des chansons en français, ma préférée est : « Sans la nommer » de Georges Moustaki… Mais je ne m’imagine pas faire un album enfrançais, ce n’est pas possible ! Comme un chanteur français
chante sa langue, je chante la mienne.
- Chanter en corse est-ce une manière de
contribuer à sauver la langue ?
- Bien sûr. Dans mon école de musique et de chant à I Fulelli, les 200 élèves, qui viennent prendre des cours de guitare, de piano ou de chant corse, sont tous initiés à la langue corse. Je travaille également au collège Simon Vinciguerra avec deux professeurs de corse qui m’ont demandé d’intervenir en classe de 6ème. Elles ont pensé que la musique inciterait les élèves à ne pas abandonnerl’option corse au bout d’un mois. C’est ce qui s’est passé. Il faut s’occuper de la langue. Je ne suis pas de ceux qui brandissent la pancarte « Sauvons la langue corse », car en voulant trop sauver, parfois on marginalise. Le corse est une langue qui est capable de parler de tout, de choses graves ou légères, c’est une langue vivante, moderne. Il faut travailler avec, faire des choses, aller à l’essentiel. J’entends dire qu’au Conseil général de Bastia, il va y avoir des cours de corse imposés à tout le personnel, c’est fabuleux ! C’est une avancée extraordinaire ! Ceci dit, il ne faut pas oublier la revendication culturelle. Dans le programme de la tournée, il y a la chanson « Golu », qui est notre rivière qui parle à la Seine, de minorité à puissance, et « O Corsica La Mea ».
- Que pensez-vous de la création musicale corse actuelle ?
- Elle se porte bien avec, à la fois, une diversité dans les créations et une volonté d’aller vers la qualité, ce qui n’était pas évident au départ. Tout ce qui arrive à un groupe, comme A Filetta, les tournées dans le monde entier… ce n’est pas par hasard. A un moment donné, il a décidé de poser les instruments, de se mettre au travail, d’apprendre le solfège et de faire un travail de fond. I Muvrinisont aussi un exemple au niveau technique, scénique et musical. Qu’un groupe corse fasse Bercy trois soirs d’affilée, des tournées internationales et vende 300 000 albums, c’est inespéré ! Il y a une force culturelle extraordinaire en Corse avec, depuis 30 ans, des milliers de concerts dans tous les villages et les villes. Il y en a moins aujourd’hui car un concert demande plus de moyens, il faut payer la location de la sono, les musiciens qui sont des intermittents, c’est plus compliqué. A l’époque, quand je tournais avec I Surghjente, on prenait comme cachet ce qu’il y avait. Aujourd’hui, une vingtaine d’albums sort par an.
- Une prochaine tournée est-elle prévue pour cet été ?
- Oui, avec une quinzaine de dates dans les villes et les villages corses. J’aurais préféré ne faire que les villages, mais c’est compliquépour des problèmes de matériel et de moyens. Bien entendu, c’est important de chanter à Bastia, à Ajaccio et à Porto Vecchio, mais c’est important aussi de chanter à Rusazia, un petit village du Cruzini avec peu d’habitants, où la route arrive tout juste, mais qui a une salle de concert exceptionnelle, une église à ciel ouvert qui peut accueillir 150 personnes. C’est important de faire un concert dans ces lieux-là car ce sont des endroits qui nous sont chers et qui ont la Corse dans leur âme. C’est très fort.
Propos recueillis par Nicole MARI
Vente billets pour le Concert de BASTIA :
Folelli Centre commercial Hyper U, magasin Disco Vidéo
Lucciana Centre commercial, boutique Alexandre
Bastia Magasin Chorus rue César Campinchi et boutique Alexandre Toga
Ile Rousse Maison de la presse.
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cabrette (mercredi, 08 août 2012 19:08)
venez dans les villages nous vous attendons !!