L'élu territorial de Corsica Libera réagit, pour Corse Net Infos, à l'ampleur du vote Front National en Corse et s’insurge contre les allégations imputant aux Indépendantistes une partie de la paternité de ce vote. Inquiet de cette montée des extrêmes dans l'île qu’il impute aux carences de l’Etat, Paul-Félix Benedetti estime que la Corse n’a rien à attendre du prochain président et appelle les Corses à prendre leur destin en main.
- Que vous inspire le lourd score du Front National au 1er tour des présidentielles ?
- Le vote Le Pen m'interpelle et me contrarie. Je suis un homme de gauche avec des valeurs sociales humanistes très fortes et la montée des extrêmes m'inquiète. Je combats l'idéologie fasciste qu'elle soit d'extrême-droite ou de type ultra-gauche de modèle stalinien. Je suis pour un système juste et généreux. Je pense qu’il ne faut pas permettre à des personnes d’expliquer qu'elles ont voté Le Pen, mais que c'était juste un vote de défiance... Non ! Dans chaque action de vote, il y a une action politique. Et, aujourd'hui, l'action politique, qui a conduit à voter, en Corse, Mme Le Pen, est une action politique qui me désole et me déplait fortement.
- En Corse, à quoi l'attribuez-vous ?
- Depuis des années, la Corse est dans une situation politique et économique désastreuse. C’est un terreau susceptible de développer une idéologie potentiellement sournoise de tendance fascisante. Il peut y avoir sur des élections, si l’on ne fait pas attention, la matérialisation d'un vote populiste par manque de captation par les forces politiques normatives.
- Qu'entendez-vous par forces politiques normatives ?
- Dans une élection présidentielle, les forces politiques normatives sont les forces nationales : droite et gauche. En l'absence de candidats nationalistes qui capitalisent un courant de vote, tout se régule de manière différente. Dans le cadre de situation difficile, telle que la conjoncture mondiale aujourd'hui l’impose à tous les peuples, il est dangereux de laisser les gens se tourner vers des valeurs politiques "refuge", comme ça s’est déjà produit par le passé.
- C'est-à-dire ?
- Quand il y a eu l'avènement de la dictature fasciste en Italie, Mussolini a été plébiscité par le peuple. Hitler a été également plébiscité par le peuple allemand. Les pleins pouvoirs donnés à Pétain dans une situation de crise ont été un plébiscite. L'avènement de comportements de type fasciste est historiquement lié à des conjonctures défavorables, à des sentiments de faiblesse de l'individu face à la réaction générale du monde.
En Corse, cette situation de faiblesse est principalement liée à la carence de l'Etat à tous les niveaux. Elle s'est traduite par ce comportement électoral qu'il ne faut pas minimiser, mais qu'il faut juger à sa juste valeur.
- Justement, comment expliquez-vous la déferlante Marine dans certains villages ou quartiers périphériques des villes ?
- Je ne sais pas. Il y a peut-être un mimétisme avec le vote français des campagnes. Le vote Front National, dans le rural ou dans les banlieues des grandes villes, provient souvent, au départ, de voix de gauche qui ont basculé. Un comportement trouve-t-il une rationalité territoriale dans une élection présidentielle ? Sur les votes locaux concernant les communes, la députation ou la région, les comportements sont, heureusement, différents.
- Votre mouvement Corsica Libera a annoncé qu'il ne voterait pas à ce scrutin. Qu’en a-t-il été ?
- Je pense que l'essentiel du corps militant de Corsica Libera s'est abstenu sur cette élection. A titre individuel, je n'ai pas voté parce que je considère que c'est une élection qui ne me concerne pas.
- Pourtant, on impute aux nationalistes, surtout les jeunes qui votent Corsica Libera aux scrutins locaux, d’avoir voté Front National…
- C'est un raccourci trop facile. Aller chercher qui a voté quoi et faire des raccourcis simplistes, c'est de la manipulation ! Le vote Front National a probablement capté des électeurs nationalistes, mais il a tout autant capté des électeurs socialistes comme des électeurs de la droite dite libérale parce qu’à 25 %, il a pris de l'électorat partout. Ce qui doit interpeller, c'est comment le Front National peut faire un score aussi fort dans une conjoncture corse plutôt stable en termes de rapport aux uns et aux autres ? Il faut se poser des questions. En Corse, il y a beaucoup de forces de police et de gendarmerie qui, peut-être, avec leurs familles, ont fait, de manière groupée, un vote de type Front National. C'est même très probable, mais ça, on n'en parle pas ! Et, on va chercher le ou les militants qui ont pu voter ! Qu'on regarde, donc, les choses de manière rationnelle, qu'on se pose la question fondamentale de savoir comment des personnes peuvent, de manière massive, avoir un vote qui, à terme, deviendra un vote d'exclusion et de xénophobie !
- Ce vote peut-il avoir des conséquences ou un prolongement sur les autres scrutins locaux, comme l'affirme Marine le Pen ?
- C'est à prendre en compte. L'électorat corse est, quand même, assez volatile et a peu de stabilité dans le comportement. Mais, si ce vote Front National devient un vote politique stable, ce serait grave pour la Corse. Il appartient à tous les mouvements politiques, quelqu'ils soient, de faire plus d'efforts pour contrer cette idéologie et mettre de la rationalité dans les débats.
- Deux candidats restent en lice pour les présidentielles. L’un des deux a-t-il votre préférence ?
- Je n'ai pas de préférence pour les Français. J'attends qu'il y ait un président. Si c'est Nicolas Sarkozy, j'ose espérer qu'il fera preuve d’un peu plus de rationalité dans le traitement du problème corse. Si c'est un nouveau président, j'espère qu'il prendra la mesure de ce qu'il faudrait faire.
- Comment réagissez-vous aux discours des deux candidats sur la Corse ?
- Ce sont des discours de campagne électorale qui essayent de ratisser large et de décevoir le moins possible. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas eu d'engagement programmatif fort de l'un ou de l'autre. Ce qui signifie que, de manière intentionnelle, il n'y a pas de proposition pour la Corse. Ce sera aux Corses de comprendre qu'il leur appartient de faire des propositions d'évolution institutionnelle et des propositions pour gérer les conflits insulaires. Il y a, aujourd'hui, une situation dramatique en termes d'homicides et d'affrontements généralisés et il faudra que chacun prenne ses responsabilités collectives et individuelles sans compter sur le pouvoir étatique.
- Justement, les présidentiables estiment que c'est aux Corses eux-mêmes de régler le problème de la violence... Qu’en pensez-vous ?
- Dire, que c'est aux Corses de régler le problème de la violence, signifie que l'Etat admet sa carence dans ses principes fondamentaux qui sont le droit à la vie et à une existence paisible pour chaque individu qui nait sur cette terre, au sens large, c'est-à-dire le monde. La compensation d'une carence, c'est de donner à la Corse un pouvoir élargi, une évolution institutionnelle forte pour qu'elle puisse anticiper et gérer son avenir et ses problèmes, même les plus graves.
- Vous n’avez pas posé de questions aux candidats, préférant les réserver au prochain président. Une fois qu'il sera élu, que ferez-vous ?
- Déjà, nous attendrons de voir sur quelle logique politique va s'orienter le comportement étatique. Aura-t-il une politique répressive, de chasse aux sorcières, de négation de l'identité corse et de ses droits nationaux ou aura-t-il une politique ouverte avec la prise en compte des spécificités et l'analyse des comportements qui ont amené à cette impasse, à la fois, politique, économique, culturelle ? Nous serons attentifs.
- Etes-vous confiant ?
- Non. Pas du tout. Malheureusement, depuis 40 ans, il y a eu beaucoup de promesses qui n'ont jamais été tenues, jamais suivies d'effet, et surtout
un manque de perception. Souvent, les hommes politiques parisiens ont des petits relais locaux qui leur renvoient des informations sous des prismes déformants. Il ne
faudrait pas aujourd'hui que les tenants du pouvoir à venir, qu'ils soient de droite ou de gauche, se servent de ces petits relais locaux pour avoir des positions
déformées et triviales, qui les poussent à ne pas considérer les choses d'un point de vue
politique, mais uniquement sur un modèle économique et judiciaire, et à refuser l'avenir. Cela dit, nous n'attendons rien,
car nous avons été trop fortement déçus, de l'après-Mitterrand en 1981 et de 1988. Sarkozy ne nous
a pas déçus car nous savions, à l'avance, que nous ne pouvions obtenir que le pire. Demain, Sarkozy II ou Hollande I, on verra !
Propos recueillis par Nicole MARI
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Ghiso4 (dimanche, 20 mai 2012 14:16)
C'est incroyable ! Il donne les devons aux autres !