Christine Guerrini, l'ancienne directrice du Centre régional d'information jeunesse de Corse, CRIJ, et élue territoriale UMP, a comparu, mercredi après-midi, devant le tribunal correctionnel de Bastia pour "abus de confiance, manoœuvres frauduleuses caractérisant une escroquerie et détournement de fonds publics". Le procureur a requis une peine de 18 mois de prison avec sursis, au moins 3 ans d'inéligibilité, 10 000 euros d'amende et le remboursement des sommes détournées. Reconnaissant les faits, son avocat demande que soient retenues les plus grandes circonstances atténuantes. Le jugement, mis en délibéré, sera rendu le 6 juin à 14 heures.
C'est le procès d'un dérapage qui s'est tenu, mercredi après-midi, au tribunal correctionnel de Bastia. Celui d'une élue territoriale, directrice du CRIJ, qui a utilisé de l'argent public à des fins personnelles. Un procès qui pose, en filigrane, le problème de la moralisation de la vie publique. Mais pas seulement ! Il pose également la question d'un autre dérapage : celui de l'absence de contrôle de l'usage de cet argent public et de la responsabilité des personnes et organismes censés le contrôler. Car ce qui frappe le plus dans cette affaire, c'est la facilité avec laquelle Christine Guerrini a pu, pendant des années, sans que personne s'en aperçoive, détourner les fonds d'une association, réalisant, sous la tutelle de la CTC, des missions en faveur de la jeunesse.
Rappel des faits
A partir de mai 2006, celle, qui dirigera le CRIJ pendant 10 ans, va puiser dans les comptes de l'association pour régler des frais personnels, vêtements, places de concert, achats de pâtisserie, etc. À partir de 2008, ces prélèvements indus vont monter en puissance avec des faux achats sur Internet de matériels informatiques et d'ameublement, des fausses factures et des faux frais professionnels qu'elle se fait rembourser et même des virements directs sur son compte bancaire personnel. Au fil du temps, les sommes augmentent et le mode opératoire se diversifient jusqu'au moment où un salarié du CRIJ découvre, par hasard, le pot aux roses. L'enquête établit le montant des sommes détournées, d'abord à 69 000€, somme que la prévenue va rembourser, puis à 150 000€, total que son avocat Me Jean Michel Albertini conteste.
Un drame personnel
La présidente du TGI, Anne David, va d'abord tenter de comprendre les raisons du dérapage initial et de sa poursuite dans le temps. "La société a besoin de savoir dans quelles conditions, de tels faits, qui sont graves, se passent".
Mais la prévenue sera peu diserte tout au long de l'audience. Les deux expertises médicales réalisées parlent d'achats compulsifs, d'addictions et de troubles dépressifs suite à une accumulation de drames personnels. L'implication présumée de son fils dans des affaires de terrorisme, son emprisonnement pendant 4 ans à Fresnes et son assassinat en octobre 2008, sont autant d'éléments explicatifs de ce dérapage qui n'obéit pas à des problèmes d'argent, la directrice du CRIJ cumule un salaire de 3000€ et ses émoluments de conseillère territoriale.
Une absence de contrôle
La présidente va s'interroger aussi sur les choix faits par le CRIJ de rémunérer jusqu'à 300 000€ par an un cabinet d'expertise comptable qui ne contrôle rien. "Comment avez-vous réussi à dissimuler ces détournements autant de temps ? " s'étonne encore la présidente qui n'obtient pas de réponse.
Un étonnement partagé par le ministère public, représenté par Yves Paillard, qui questionne la prévenue. "Aviez-vous besoin d'argent ?" "Non". "Aviez-vous des dettes ?" "Non." "Votre salaire était-il suffisant ?" "Oui." "Pourquoi alors ?" "J'achetais."
Une confiance trahie
Pour Me Antoine Meridjen, avocat du CRIF qui s'est constitué partie civile, la réponse est à chercher du côté de "l'autonomie importante dont bénéficiait la directrice qui ne rendait de comptes à pas grand monde" et de "la confiance qu'elle tisse avec son entourage". Il estime que "la malice, l'intelligence, l'imagination" de Christine Guerrini vont favoriser ces détournements grâce à un mode opératoire "précis, diversifié et efficace" et plonger l'association dans des difficultés financières qui vont l'amener au bord de la liquidation judiciaire. Il insiste sur "la confiance absolue trahie", sur la dégradation de l'image du CRIJ auprès des partenaires publics et privés et auprès des jeunes. Admettant des dysfonctionnements de surveillance, il demande que l'ex-directrice soit reconnue coupable et que la sanction pénale permette au CRIJ, qui est en train de se redresser, de recouvrer, lors d'un procès civil, la totalité du préjudice financier subi.
Une responsabilité collective
À sa suite, le ministère public va rappeler la notion de bien public "qui n'est pas un vain mot. Le fruit du travail des citoyens, on ne peut pas le gaspiller, le galvauder, le laisser gérer par des gens incompétents qui s'enrichiraient personnellement". Il va, lui aussi, s'attarder sur le préjudice moral. "La victime, ce sont aussi tous les jeunes de Haute-Corse, tous les salariés du CRIJ qui ont failli se retrouver à la rue".
Mais Yves Paillard va surtout stigmatiser, tout au long de son réquisitoire, ce qu'il qualifie "d'aberration", le fait qu'une même personne soit à la fois "ordonnateur et payeur". Il va, ainsi, presqu'à la décharge de la prévenue, mettre en cause une responsabilité collective, pointant les dysfonctionnements d'un système vicié. "Que des organismes financiers comme la CTC, donnent de l'argent public sans en vérifier l'usage, que le bureau du CRIJ laisse autant de pouvoir à Mme Guerrini alors que les dysfonctionnements étaient connus et qu'il y avait des dettes ! On n'a pas voulu voir ! " assène-t-il. Il accuse de négligence et de laxisme : la CTC, le président du CRIJ, l'expert comptable, le commissaire aux comptes qui n'ont pas été capables de comprendre ce "qu'un simple contrôle de facto par un salarié qui prend une facture dans un classeur" révèle.
Des peines exemplaires
Pour le procureur, les trois infractions retenues, à savoir l'abus de confiance, les manoeuvres frauduleuses caractérisant une escroquerie et le détournement de fonds publics, ne peuvent être cumulées pour un même fait. Aussi ne retient-il que le délit principal de détournement de fonds publics, qui englobe les deux autres et est théoriquement puni de 10 ans d'emprisonnement. Reconnaissant néanmoins que le montant et la période du délit étant limités et qu'il n'y a pas "d'utilité" à envoyer en prison la prévenue qui a déjà remboursé une partie des sommes détournées, il requiert une peine exemplaire de 18 mois, mais assortie d'un sursis simple. Également une amende de 10 000€ pour sanctionner la faute. Pour "l'élue du peuple dont elle a trahi la confiance", il propose une peine complémentaire d'inéligibilité d'au moins 3 ans comportant l'interdiction d'exercer toute fonction publique.
Une erreur juridique
L'avocat de la défense, Me Albertini, va d'abord récuser le délit retenu de détournement de fonds publics qu'il taxe "d'erreur juridique" en démontrant que les faits reprochés à sa cliente ne le constituent pas. Acceptant les deux autres infractions délaissées par le ministère public, il va contester la créance de 150000€ et demander un délai pour chiffrer le véritable montant du préjudice financier encouru par le CRIJ. Il s'emploie également à "tordre le cou à l'idée que Christine Guerrini serait à l'origine des problèmes financiers du CRIJ" en s'appuyant sur les déclarations recueillies pendant la procédure qui la dédouanent.
Un suicide social
Ces points établis, il va recentrer ce délit financier au coeur d'un drame humain, brossant le portrait d'une femme fragile, désorientée, dépressive, qui doit affronter l'incarcération de son fils, les visites au parloir de Fresnes pendant 4 ans et son assassinat. "Elle fait la femme forte, mais ne parle à personne du statut de son fils. Elle pourrait se suicider, mais va choisir la voie du suicide social qui fait le moins de dégâts à sa famille mais où on se ruine soi-même". Il demande à la Cour de ne pas y ajouter " un suicide financier".
Il va ensuite fustiger ceux qui veulent réduire ce drame humain à une simple malversation financière. "La chute d'une femme n'intéresse personne, mais le châtiment passionne tout le monde". Les salariés du CRIJ, présents dans la salle, n'apprécient pas. Me Albertini va plaider l'indulgence de la Cour. "Elle a fauté. Son comportement est blâmable. Mais elle a droit aux plus grandes circonstances atténuantes", conclut-il.
Le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 6 juin.
N. M.
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