Jean-Valère Geronimi : « Nous sommes orphelins de la Méditerranée »

(Photos U Marinu)
(Photos U Marinu)

La 19ème édition de Mer en Fête s’est terminée, ce vendredi, à Bastia, après un périple à bord du Danielle Casanova, qui a débuté au port de Marseille, le 28 mai dernier, avec une escale à Ajaccio. Pendant 3 jours, plus de 70 ateliers ont permis à plus de 4000 élèves des académies d’Aix-Marseille et de Corse de découvrir la Méditerranée. Parallèlement, se sont tenues les 14ème rencontres éco-culturelles Med’Educ avec, comme pays invité, la Tunisie. Explications, pour Corse Net Infos, de Jean Valère Geronimi, océanographe, président d'U Marinu, organisateur des deux manifestations. 

- C’est la 19ème édition de Mer en Fête. Quelles sont les raisons de son succès ?

- D’abord, c’est une manifestation pédagogique. Grâce à la complicité de la SNCM, le support pédagogique est un beau bateau comme le Danielle Casanova. Il accueille des animations transdisciplinaires pour des élèves qui reçoivent le programme, un mois avant notre venue dans la ville étape. Nous leur proposons d’apprendre autrement, de mêler l’émotion au savoir, la science à la musique, à l’art, au dessin, à la plongée, aux chiens sauveteurs... Cette diversité permet aux enseignants de sélectionner, selon leur projet pédagogique, leur programme et leur niveau, quelques ateliers pendant deux heures.

 

- Sur quels thèmes ?

- Tous les thèmes qui évoquent la Méditerranée. Cette année, nous avons choisi pour thème : « Soyons ensemble les ambassadeurs de la Méditerranée » dans le fil des engagements initiaux de l’Union pour la Méditerranée et des implications de la Convention de Barcelone. Chacun a son bout de mer alors que la Méditerranée est menacée. Cette mer semi-fermée est la première destination touristique au monde. Elle subit le réchauffement climatique, un trafic maritime de plus en plus intense. Une goutte d’eau mettrait 100 ans pour se renouveler. Toute catastrophe qui surviendrait serait plus difficile à gérer que dans n’importe quelle autre mer du monde. Nous avons donc le devoir d’être vigilant.

 

- Comment protéger la Méditerranée ?

- On ne peut pas protéger une mer sans avoir, d’abord, un sentiment d’appartenance à cette mer. Il ne suffit pas de créer un sanctuaire des cétacés ou de développer des aires marines protégées, même s’il faut le faire, il faut mettre l’homme au centre de notre réflexion. C’est pour cela que nous voulons une Méditerranée vivante, réelle. Les Méditerranéens ont un déficit par rapport à leur espace, qu’il soit culturel ou écologique. Nous sommes orphelins de la Méditerranée. Si on veut lutter pour la protéger, ne serait-ce que sous l’angle de la biodiversité des espèces menacées, il faut que le sentiment d’appartenance à cet espace prime.

 

- Est-ce pour développer ce sentiment d’appartenance que vous vous adressez aux enfants ?

- Oui. C’est le but des ateliers. C’est ce que le Prince de Monaco avait fait, l’an dernier, dans une exposition dans sa principauté : « Connaître, aimer, protéger ». La Méditerranée a plusieurs rives, des fractures, elle souffre. C’est pour cela qu’à Med’Educ, nous avons décidé, cette année, d’inviter la Tunisie et des associations du développement durable de Zarzis qui sont venues présenter le travail effectué dans le Sud de ce pays. Edgar Morin disait : « Il ne faut pas uniquement penser à la Méditerranée, mais méditerranéiser la pensée ». C’est une démarche de partage, d’appartenance à l’histoire d’un berceau de civilisation, le Mare Nostrum que l’on conjugue ensemble. Il faut vivre la Méditerranée avec les Méditerranéens.

 

- Quel est le but de Med’Educ ?

- Au départ, la mutualisation d’outils pédagogiques entre animateurs où chacun propose ce qu’il a créé et où  naissent des projets communs. De fil en aiguille, toujours pour essayer d’être davantage des Méditerranéens et trouver des dénominateurs communs à proposer à toute notre jeunesse méditerranéenne, nous avons enrichi notre réflexion. Pour cette 14ème édition, nous avons osé proposer un cadre général : «  Pour une gouvernance méditerranéenne par des stratégies éducatives » autour de trois mots : éducation, développement durable et Méditerranée. Les thèmes choisis sont : la culture et le volontariat au service du développement durable en Méditerranée.

 

- Med’Educ a attiré 250 personnes. Quelles sont les clés de cette réussite ?

- Nous avons eu le privilège de recevoir pour ouvrir le débat, André Azoulay, conseiller technique du roi du Maroc et président de la Fondation Anna Lindh (FAL) qui regroupe 43 pays. Il est venu nous parler de la grande réunion qui réunira les 43 pays, en 2013, à Marseille, désignée Capitale des cultures de l’Europe. Il a exposé les intérêts, les problématiques, les interrogations, les dangers et les attentes concernant ce lien entre les cultures. La FAL prône le dialogue des cultures entres les pays méditerranéens. Partant du principe que la diversité n’est pas un obstacle, mais une richesse, nous voulons tisser des maillages entre le Nord et le Sud par la culture pour devenir et être Méditerranéen.

 

- Cela correspond-il à votre projet d’agenda 21 ?

- En 2012, nous célébrons RIO + 20. Dans l’application de la Convention de Barcelone, nous voudrions proposer un agenda 21 qui s’adresserait aux élèves des 22 pays qui bordent la Méditerranée et définirait un lien et un défi communs. Il s’agit de privilégier l’acte éducatif pour que les enfants deviennent des éco-citoyens responsables, sinon notre mer sera menacée. Il faut essayer de proposer ce défi de manière intelligente à notre jeunesse et de le faire partager. On ne peut pas protéger la Méditerranée, si on n’est pas ensemble.

 

- Pourquoi avoir, dans cette édition, réuni de nombreuses associations ?

- J’ai demandé à tous les réseaux représentatifs français qui s’occupent d’éducation, de sensibilisation, de démocratie, d’être présents. Par exemple, en dehors de la FAL réseau français, ont participé l’Union des femmes de la Méditerranée, Euromed France, la ligue d’enseignement Méditerranée, l’association des citoyens de Méditerranée pour que la société civile joue son rôle dans cette démarche méditerranéenne. Toutes ces structures, qui ont souvent des objectifs communs, ne se connaissent pas. J’ai voulu exprimer une solidarité pratique, concrète.

 

- La Tunisie était le pays invité. Qu’est-ce qui a motivé  ce choix ?

- La Tunisie nous semble, dans le vivre ensemble, depuis le printemps arabe et la révolution du jasmin, être le pays qui a le plus besoin de notre solidarité et de notre écoute. Sont venus une députée tunisienne, le représentant de la FAL de Tunisie, le dessinateur de l’affiche... Nous avons demandé à chacun des réseaux invités ce qu’il avait fait avec ce pays. Par exemple, la ligue d’enseignement a permis l’organisation d’une ligue tunisienne, etc. Il était important de montrer la Méditerranée dans sa dimension vivante, et non pas simplement physique, géographique ou écologique. Nous voulons la promouvoir comme une aire éco-culturelle où l’actualité s’impose.

 

- La mer ne serait-elle donc qu’un prétexte ?

- Oui, mais, en même temps, la Méditerranée est un modèle réduit, un véritable laboratoire des problématiques mondiales. En tant que Corse, nous avons le droit et le devoir d’être présent. Nous devons conjuguer le Mare Nostrum en tant qu’insulaire et en tant que Méditerranéen. Pour cela, il faut d’abord faire comprendre aux Corses qu’ils sont des insulaires et non pas une montagne dans l’île. C’est un défi au quotidien.

 

- Les Corses n’ont-ils pas conscience qu’ils sont des insulaires ?

- Non. Ils le comprennent difficilement. Ils sont toujours repliés dans les vallées et dans les montagnes, ils ont du mal à prendre en compte la mer. Comme tous les insulaires, ils se méfient de celui qui vient de l’extérieur. Or, une culture, c’est un métissage forgé à travers une histoire, une géographie, un environnement qui donne du caractère à une identité, qui la conditionne. La France est une mosaïque d’identités et de régions avec des savoir-faire spécifiques. La Corse ne fait pas exception, mais elle a des savoir-être. Etre Corse crée un lien, qui ne doit pas être exclusif. Une culture, qui ne s’enrichit pas des autres, meurt. Un territoire a sa propre vérité. Dans ce monde qui se déshumanise où le mot le plus cité est : « Coca Cola », nous avons le droit et le devoir d’être Corse, comme toutes ces mosaïques de régions, car nous sommes des morceaux de patrimoine, pour mieux vivre demain.

 

- Comment, selon vous, a évolué ce vivre ensemble en Méditerranée ?

- Il est constitué de beaucoup d’interrogations, d’inquiétudes et de moments qui risquent d’être décisifs pour l’avenir, mais aussi de beaucoup d’espoir. Il est conditionné par la guerre, l’intégrisme, la pauvreté, l’analphabétisme, le rôle des femmes, la lutte des puissants contre les faiblesses, l’émigration, qui aboutit au chômage, en Espagne, en Italie, en Corse. Nous parlons d’éco-citoyenneté. Nous avons choisi la mer parce qu’il faut la protéger tout en voulons faire comprendre aux enfants que la Méditerranée, ce n’est pas seulement des cétacés, des dauphins, c’est d’abord l’humain.

 

- Vous dites qu’il faut protéger la mer. Est-elle en danger ?

- Elle est menacée. Notre association U Marinu adhère à un programme des Nations Unies Horizon 20/20 afin qu’en 2020, il y ait 20% de pollution en moins. La Corse est la région la mieux protégée de Méditerranée. L’Office de l’environnement a un rôle exemplaire dans ce cadre-là. Le Parc international des Bouches de Bonifacio est un exemple de la volonté, à la fois, politique, institutionnelle, de la société civile pour arriver à quelque chose d’unique : deux pays s’unissent pour créer un parc international.

 

- Ce parc entre la Corse et la Sardaigne peut-il être un modèle pour d’autres pays ?

- Oui. L’idée est le partage. C’est ce que nous faisons avec La Mer en fête. Nous avons signé une convention avec la SNCM pour développer des projets communs dans le cadre d’une collaboration entreprise/association pour protéger la même mer. C’est une intelligence partagée. Nous avons signé des conventions avec l’Université de Corse et les chercheurs de Stella Mare, avec le CNRS, l’IFREMER, avec le Comité local des pêches pour connaître le niveau des stocks halieutiques… Nous devons récupérer les informations et les transmettent à notre jeunesse.

 

- Le projet Stella Mare suscite une polémique. Quelle est votre position ?

- Il y a 30 ans, lors des Assises régionales de la science et de la technologie, on m’a demandé de créer un groupe mer. Nous avions, alors, déposé un projet qui ressemble à celui que Stella Mare a mis en place, dans le lieu où il l’a mis : pas très loin de la mer, près des étangs, etc. J’ai, ensuite, déposé six projets de maison de la mer, c’est-à-dire d’unités où les scientifiques puissent venir travailler. Quand l’université de Corse a créé Stella Mare, je me suis dit : « Enfin ! Enfin, on va pouvoir travailler dans les conditions que nous avions programmées, il y a 30 ans ! ». En toute conscience, j’ai visité les installations de Stella Mare et je n’ai rien vu de choquant. J’ai vu des chercheurs brillants, enthousiastes, animés de la volonté d’apporter leurs connaissances au service de la Corse. Aujourd’hui, avec le CPIE Bastia-Golo-Méditerranée, nous avons signé une convention avec l’université de Corse et le CNRS pour récupérer leurs données et les transmettre à la jeunesse. Je tiens à dire que je soutiens le projet Stella Mare.

                                                                                     Propos recueillis par Nicole MARI

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