Les cigarettes coûtent, en Corse, 25 % moins cher que sur le continent. Ce régime fiscal dérogatoire, vieux de 2 siècles, menace de partir en fumée au 1er janvier 2013. Une demande de prorogation a été votée, lors de la dernière session de la CTC. L’enjeu est d’importance : le tabac rapporte 80 millions € de taxes et fait vivre une filière de production, de distribution et 270 buralistes. Antoine Orsini, élu territorial du groupe Corse Social Démocrate et président de la Commission des finances, de la planification et des affaires européennes de la CTC, explique, à Corse Net Infos, la problématique de cette dérogation fiscale et les conséquences néfastes d’un retour au droit commun.
- Quelle est la problématique corse concernant la fiscalité du tabac ?
- La Corse bénéficie, à la suite de directives européennes successives, d'une dérogation fiscale sur les tabacs. Cette fiscalité est plus avantageuse que celle de France continentale. Aujourd'hui, le taux d'accise de la taxe sur les tabacs est de 45% en Corse, alors qu'il atteint près de 64 % au plan national, ce qui explique le différentiel de prix sur le paquet de cigarettes entre l’île et le continent. Cette disposition fiscale avantageuse est effective jusqu'au 31 décembre 2012. A compter du 1er janvier 2013, la directive européenne prévoit une sortie progressive du dispositif dérogatoire pour rentrer dans le droit commun. En 3 ans, la Corse rejoindrait un alignement sur le niveau de taxes, et donc sur le prix du tabac, de France continentale.
- Quelles en seraient les conséquences ?
- Nous avons travaillé en concertation avec les professionnels de la filière tabacole insulaire, tant la distribution que la production et les débitants de tabac pour examiner les conséquences prévisibles d'une telle sortie du dispositif. La première conséquence serait une chute du chiffre d'affaires et, donc, des marges des débitants de tabac, du producteur Macotab (Manufacture corse de tabac) et des deux plateformes de distribution Altadis sur Ajaccio et Bastia. Le réseau corse, constitué de 270 buralistes, est d'une densité bien supérieure à la moyenne nationale et implanté, en majorité, en milieu rural.
- Pourquoi une telle chute du chiffre d’affaires ?
- Une grosse partie, environ 60 %, des achats de tabac sont des achats d'opportunité que font les visiteurs, lorsqu'ils viennent en Corse. Ils repartent avec leurs stocks de cigarettes. C'est, pour eux, plus intéressant d’acheter les cigarettes, ici, qui sont moins cher que sur le continent. Donc, la Corse perdrait cet avantage et tout ce volume d'achat.
- Y a-t-il d’autres conséquences ?
- Oui. La Corse passerait du statut d'exportatrice de tabac à un statut d'importatrice. La remise à niveau du prix de la cigarette sur celui du continent en ferait une plaque tournante pour la contrebande et la vente illicite. La troisième conséquence est fiscale. La taxe sur le tabac est perçue par les collectivités locales insulaires, à savoir la CTC et les deux départements. La CTC perçoit les 3/4 du produit de cette taxe, le 1/4 restant étant perçu par les 2 départements.
- Quelle est l’importance de cette taxe locale ?
- La CTC a perçu, en 2011, 60 millions € grâce au tabac. C'est la deuxième taxe en ordre d'importance après la TIPP (Taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers). En plus, cette taxe est dynamique, c'est-à-dire qu'elle a augmenté régulièrement ces dernières années. En Commission des finances, nous avons fait des simulations financières et fiscales qui concluent que l'alignement sur le taux du continent, en nous privant des achats d'opportunité, génèrerait une perte d'au moins 10 millions € pour la CTC.
- Que va donc faire la CTC ?
- La Commission des finances essaye de trouver les voies et moyens de pallier cette échéance car les buralistes, les premiers, mais aussi Macotab, ne sont pas prêts à affronter, ex abrupto, au 1er janvier, cette situation qui deviendrait catastrophique. Nous avons travaillé sur des hypothèses. La première serait d’acquérir la compétence fiscale, comme pour la proposition sur les Arrêtés Miot. Mais, cette hypothèse a le gros inconvénient de ne pas être opérationnelle d’ici au 31 décembre. Pour l’instant, nous l’avons donc mise de côté.
- Quelles sont les autres hypothèses ?
- Une solution serait la prorogation sine die de la disposition fiscale, mais il y a peu de chances que l’Union européenne l’accepte. La deuxième solution, qui a eu les faveurs de la Commission des finances et a été adoptée par l’assemblée, est de proroger le dispositif pendant cinq ans. Au lieu de démarrer le 1er janvier 2013, le dispositif de sortie ne se mettrait en place qu’à partir du 1er janvier 2018. On aurait, donc, une translation de cinq ans, qui laisserait le temps, éventuellement, d’acquérir la compétence fiscale, mais surtout au réseau des buralistes notamment et à toute la filière tabacole de s’adapter à la situation nouvelle. Le temps de se préparer à la perte du chiffre d’affaires.
- Comment peuvent-ils s’y préparer ?
- Par une diversification du chiffre d’affaires des buralistes dans le cadre d’un plan national qui existe et, sans doute aussi, dans le cadre de mesures spécifiques que nous aurons à mettre en œuvre à la CTC. Ce sont les dispositions que l’assemblée a votées.
- Des élus se sont élevés contre cette proposition de prorogation qui va à l’encontre des impératifs de santé publique. Que leur répondez-vous ?
- Deux choses. La première est que l’harmonisation fiscale, voulue par l’Europe, poursuit notamment un objectif de santé publique, mais il faut avoir à l’esprit deux éléments. D’une part, les études montrent que l’augmentation du prix du paquet de cigarettes a peu d’incidence sur la consommation du tabac en France et ne la fait donc pas forcément baisser. D’autre part, nous prenons en compte, les buralistes aussi, la nécessité de santé publique, mais il faut que la profession puisse s’adapter au plan économique et social avant d’affronter les incidences négatives d’un alignement sur le prix du tabac continental afin d’éviter des dégâts considérables en matière d’emploi, de chiffre d’affaires et d’activité économique. C’est pour cela qu’il faut obtenir un délai suffisant afin que cette diversification se mette en place et porte ses fruits.
- L’assemblée a voté la délibération. Que va-t-il se passer maintenant ?
- La délibération de la CTC a pour objet de saisir le 1er ministre de cette demande précise. La Direction des douanes à Bercy a en charge le secteur des tabacs, son Directeur général a travaillé avec nous au sein de la Commission. Il nous faut, d’abord, convaincre l’Etat, le gouvernement et Bercy du bien-fondé de notre demande de prorogation pour qu’ensuite, l’Etat aille défendre, avec nous, ce dossier à Bruxelles.
- Etes-vous confiant ?
- Dans le dossier des droits de succession, nous sommes dans un débat franco-français. Là, nous sommes dans un débat franco-européen, ce qui complexifie un peu plus la chose. Nous restons optimistes, mais ce n’est que par une volonté politique forte, ici, localement, exprimée par la CTC et, nous l’espérons, par le nouveau gouvernement que nous pourrons faire valoir notre demande et obtenir ce temps nécessaire d’adaptation pour que les incidences économiques et sociales de l’alignement du prix du tabac sur le continent ne soient pas trop difficiles à supporter en Corse.
Propos recueillis par Nicole MARI
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jz (vendredi, 13 juillet 2012 10:40)
l'europe veut favoriser la contrebande