La Ligue des Droits de l’Homme (LDH) s’investit beaucoup dans le débat du PADDUC, Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, et ses enjeux en matière de Droits de l’homme, de citoyenneté et de démocratie. Favorable à la reconnaissance du peuple corse, elle exprime l’idée d’une citoyenneté locale de résidence élargie à tous les résidents, français ou étrangers, et d’un modèle de société fondé sur une économie des besoins. L’analyse, pour Corse Net Infos, d’André Pacou, élu national et porte-parole de la LDH en Corse.
- Pourquoi la LDH s’investit-elle autant dans le débat sur le PADDUC ?
- Le PADDUC représente, pour nous, une projection qui doit être appuyée, à terme, sur une vision de la société corse. Qui dit projet de société, dit enjeux fondamentaux, dont trois sont des enjeux classiques pour la LDH : les Droits de l’Homme, la citoyenneté et la démocratie. Ces 3 enjeux sont clairement posés à travers la question du PADDUC. Nous entrons dans une période aussi intense que la période électorale, puisque vont être mises en chantier, à la fois, la réflexion et l’élaboration du PADDUC et une réforme constitutionnelle pour resituer la Corse, son statut, sa place et son organisation dans la Constitution française. Ces deux débats très importants vont forcément influencer le devenir de la Corse et des Corses pour les décennies qui viennent.
- Vous parlez de 3 enjeux fondamentaux. Comment se déclinent-ils en Corse ?
- Au niveau des droits, la LDH fait le même constat que la plupart des gens, à savoir que nous sommes dans une situation de mal-développement durable et de mal-aménagement. La rente touristique aiguise les appétits et est à l’origine d’un certain nombre d’assassinats, de tentatives d’assassinats et de violence. Cet accès à la rente touristique génère une dérégulation complète de la société corse et, de fait, une dérégulation totale en matière de droits. Les droits sociaux sont dans un état catastrophique très préoccupant. C’est un leurre de dire que l’île connaît globalement une croissance plus forte que celle des autres régions françaises, car elle connaît, dans le même temps, un creusement plus fort des inégalités. Nous vivons une situation où quelques uns sont en train de tirer leur épingle du jeu, tandis que la plupart restent sur le bord de la route.
- Qu’en est-il de la démocratie ?
- La citoyenneté, c’est-à-dire comment faire vivre le débat démocratique et qui le fait vivre, et la démocratie, c’est-à-dire le fonctionnement des institutions et de la société pour mettre en place pacifiquement des débats, même contradictoires, avec les citoyens, ont du mal à s’organiser. On ne pourra organiser les droits que si on développe la démocratie délibérative avec des procédures de consultation, de délibération et de participation des citoyens à la chose publique. Le PADDUC offre un contexte favorable pour cela. Les Assises du foncier et du logement étaient une très bonne initiative qui répondait à ce besoin de démocratie délibérative et nous donnait des envies et des ambitions. Nous sommes, pour l’instant, un peu réservés sur la suite qui en a été donnée.
- Pourquoi ?
- Nous est proposé, pour l’instant, un calendrier resserré de 18 mois où il semblerait qu’une enquête va peser d’un poids assez important. Or, on ne peut confondre ce qui relèverait d’un sondage, qui est d’une fragilité évidente à des tas de niveaux, avec une véritable prise de parole des citoyens. La démocratie d’opinion n’est pas la démocratie délibérative où les gens s’expliquent entre eux, se contredisent, partagent, élaborent des réflexions et des propositions. C’est un travail de la société sur elle-même, pas un face-à-face d’un individu avec un questionnaire où il peut avoir des difficultés à répondre à certaines questions.
- Lesquelles, selon vous ?
- Quand on vous demande de hiérarchiser entre le droit au logement et le droit à la santé ! Comment pouvez-vous privilégier l’un ou l’autre ! Cela me paraît un peu compliqué ! D’où notre réserve par rapport à la suite.
- Les résultats de l’enquête grand public ne seront-ils pas fiables ?
- C’est un outil. Je ne remets pas en cause son utilisation, mais ses limites sont évidentes. Cet outil ne peut se substituer au débat qui doit être organisé avec les citoyens et la société civile et qui, seul, a la capacité, lorsqu’on construit un projet de société, de mettre en avant ce qui est valorisant.
- Que pensez-vous de la reconnaissance du peuple corse en préambule du PADDUC ?
- Lorsqu’a été débattu, dans le cadre du statut Joxe, de l’existence d’un peuple corse avec son inscription dans la Constitution, la LDH, que ce soit au niveau local ou national, a soutenu cette reconnaissance dans la loi. Il est normal que cette revendication soit remise sur le devant de la scène et que le débat qui, hélas, a échoué, il y a 25 ans, réapparaisse puisque, sur le fond, les dynamiques sociétales sont, en Corse, fondamentalement appuyées sur cette idée de peuple corse et de communauté de destin. Par contre, il y a, aujourd’hui, nécessité d’aller plus loin dans la réflexion en mettant en avant l’idée d’une citoyenneté locale de résidence.
- C’est-à-dire ?
- C’est quelque chose qui permet de définir le peuple corse en termes de composition. On a parlé des Corses d’origine et d’adoption. Nous pensons que le débat peut être nourri aussi des personnes résidentes, installées durablement en Corse. A partir de là, on peut refonder une citoyenneté en Corse qui serait une citoyenneté de résidence. Ce qui permettrait de passer d’un état de révolte permanent, depuis des décennies, à la possibilité de construire une société politiquement corse. La citoyenneté de résidence est, pour nous, une réponse en termes de droits politiques et civils. C’est un enjeu crucial.
- Quand vous parlez de résidents de longue durée, incluez-vous les gens qui n’ont pas la nationalité française ?
- Tout à fait. Parler de citoyenneté de résidence, c’est parler de gens installés durablement en Corse qui partagent un destin commun sur cette île et qui expriment des besoins. Le contexte est opportun puisqu’en France, on discute du droit de vote pour tous les étrangers, droit qui relève de cette approche de citoyenneté de résidence. En Europe aussi, on débat sur une citoyenneté de résidence européenne. La problématique est posée. Elle est tout à fait pertinente pour creuser cette revendication de peuple corse et lui donner un corps de citoyenneté.
- Pensez-vous que le PADDUC puisse être une réponse à la violence ?
- Tout à fait. Nous considérons même que c’est la réponse majeure. Les violences sont la conséquence d’un mal-développement. Les luttes très âpres au niveau des terres littorales aboutissent à des violences criminelles très inquiétantes. Cette société du précariat, qui touche de plus en plus de personnes, notamment la jeunesse, incite à avoir des stratégies de la débrouille, génératrices de comportements qui peuvent déboucher sur des actes de violence, de trafic, etc. Les tenants de la thèse de l’ultralibéralisme, de la dérèglementation sont responsables de la domination de la violence. Ces questions ne peuvent se résumer en termes de répression de justice et de police.
- Que doit faire, selon vous, le PADDUC ?
- Il y a des urgences. La LDH souhaite que le PADDUC trouve une alternative à ce qu’a été, jusqu’à présent, le développement de la Corse, modèle de société fondé essentiellement sur une rente économique liée au tourisme. Qu’il soit articulé sur une économie des besoins en matière de droit au logement, à la santé, à l’eau, à l’information, à la communication, aux technologies nouvelles, etc et qu’il énonce précisément des conditions d’égalité réelle aux droits économiques, sociaux, politiques et civils. Il faudrait, en annexe, une nouvelle manière de mesurer les repères donnés par le PADDUC au travers d’indicateurs de développement humain et de biodiversité.
- A quels indicateurs pensez-vous ?
- On peut très bien mesurer l’illettrisme qui est important en Corse ou le nombre d’habitants qui ont, de manière régulière et ininterrompu, accès à l’eau, notamment dans les villages. On peut avoir des indicateurs ancrés dans les besoins, qui permettent de vérifier si les politiques publiques mises en œuvre rétablissent ou non des conditions d’égalité au quotidien. Ces indicateurs doivent être régulièrement mobilisés pour voir comment le PADDUC transforme la réalité. Et qu’à chacune de ses mesures, on réorganise un débat avec la société civile afin que le PADDUC soit l’affaire des tous. Cette démarche, qui paraît ambitieuse, est, à notre avis, concrétisable. On ne transformera pas cette société si on ne change pas fondamentalement un certain nombre de manières de faire. Tout cela doit être clairement écrit et organisé dans le temps.
Propos recueillis par Nicole MARI
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