Une nouvelle campagne de fouilles archéologiques se déroule ce mois d’août à Calacuccia au Niolu sur le site d’U Castellu di Sarravalle. Depuis trois ans, près de 13 000 objets ont déjà été récupérés et étudiés, preuve de la richesse du Niolu néolithique. Et le site, qui surplombe le barrage hydroélectrique, est loin d’avoir livré tous ses secrets. Explications, pour Corse Net Infos, de Ghjuvan-Filippu Antolini, archéologue et responsable du chantier de fouilles.
Plus de 150 sites archéologiques sont répertoriés dans le Niolu. C’est dire si la haute vallée du Golu est riche de son histoire. Une richesse qui suscite des passions. Celle d’un enfant du pays, Ghjuvan-Filippu Antolini, qui, année après année, continue inlassablement sa quête de trésors enfouis dont le sol regorge. Archéologue, spécialiste de la préhistoire, il dirige, chaque été, depuis 3 ans, un chantier de fouilles sur l’incroyable site néolithique d’U Castellu di Sarravalle et une équipe d’une dizaine d’étudiants qui viennent de toute la France, et, selon les années, de toute l’Europe.
Une longue occupation
Ce site d’habitat de plein air, qui surplombe la rive droite du barrage de Calacuccia et offre une vue imprenable sur tout le Niolu, déroule 5 000 ans d'occupation quasi-ininterrompue depuis la fin du néolithique jusqu'au 21ème siècle. Aujourd'hui, encore, c'est une bergerie en activité.
« Toute la vallée du Niolu était occupée. La 1ère occupation date du néolithique ancien, 6000 ans avant J.C., avec l’abri Albertini et, peut-être, un 2ème abri dans la forêt du Valdu Niellu. Au néolithique moyen, l’occupation se fait plus intense avec le développement de l’agriculture, la sédentarisation, la céramique, le métier à tisser… », explique Ghjuvan-Filippu Antolini.
Un site défensif
A la fin du néolithique, autour de 3000 av. J.C., l’Europe entre dans une époque guerrière. Devant l’insécurité grandissante, les populations s’installent sur des sites défensifs, notamment des éperons rocheux, sorte de barrière naturelle dont l’accès est barré par un rempart. Ces éperons vont être appelés Talayots aux Baléares, Nuraghi en Sardaigne, éperons barrés en France et Castelli en Corse. U Castellu di Sarravalle était vraisemblablement un village fortifié et un point défensif important. « Ce site a une défense naturelle exceptionnelle. Une peuplade ennemie ne peut pas franchir le Golu et monter à l’assaut de cette montagne sans se faire massacrer », remarque l’archéologue.
Une tour médiévale
Si le Niolu comprend de nombreux sites de la fin du Néolithique, celui-ci, au vu du résultat des fouilles et de l’état actuel des recherches, semble le plus important et le mieux défendu. Un peu plus tard, à l’âge du Fer, en 800 av. J.C., le centre névralgique de la région se déplacera vers Sidossi.
Néanmoins, le site a connu une très forte occupation au Moyen-Âge. En témoignent les vestiges d'une très belle tour construite sur un rocher et d'un bâtiment, qui datent sans doute du 16eme siècle, ainsi que les nombreuses céramiques retrouvées datant du 14ème, 15ème et 16ème siècle. « On ne sait pas de quel bâtiment il s’agit. On sait seulement que c'était un bâtiment médiéval très important de notables parce que sa toiture était en teghje, en lauze de schiste. Or, faire venir des lauzes de schiste en plein cœur du Niolu où il n'y en a pas, c'était quand même, pour l'époque, une sacrée dépense et une sacrée énergie » remarque Ghjuvan-Filippu Antolini.
13 000 objets
L’an dernier, la fouille a permis de mettre à jour près de 9000 objets, en particulier des céramiques.
« Sur 1 m2 et 50 cm de profondeur, on a trouvé en unité stratigraphique préhistorique, plus d’un millier de tessons préhistoriques. C’est énorme ! Nous avons mis à jour une très belle cabane proto-historique de 12 mètres, typique de l’âge du Bronze, qui s’appuie sur de gros rochers dont une face est lisse. Ces rochers forment un arrondi en abside. Cette année, la fouille a révélé, pour le moment, 2500 objets. Elle parle moins car la terre a été remaniée et livre moins de matériel qui s’est éparpillé », déplore Ghjuvan-Filippu Antolini.
Sur 3 ans, 13 000 objets ont été récupérés, dont des pointes de flèche en rhyolite et de nombreuses céramiques. Ils sont, ensuite, nettoyés, classés et analysés par l’équipe archéologique du Niolu.
Mission rempart
La mission commandée, cette année, par la CIRA (Commission interrégionale de la recherche archéologique) s’est avérée plus difficile que prévue. Il fallait dater le rempart constitué de grosses pierres, mais celui-ci semble avoir été reconstruit au Moyen âge. « On est descendu à 1,50 mètre sous terre, malheureusement, la terre, jusqu’en bas, a été modifiée et tout s’est mélangé. On a retrouvé de la céramique préhistorique à côté de la céramique médiévale, c’est donc la preuve que ce n’est pas une unité stratigraphique préhistorique », précise Ghjuvan-Filippu Antolini.
Et c’est là toute la difficulté pour l’archéologue, qui recherche moins un objet, même s’il reste la finalité, qu’un contexte archéologique.
« Si on dépose une pierre à un endroit, au pied d’un arbre par exemple. Que va-t-il se passer pendant 3000 ans ? L’arbre et les feuilles vont pourrir, cette pourriture va former un sédiment qui donne de la terre, le sol va peu à peu augmenter de niveau. Ce qui est intéressant pour l’archéologue, c’est de descendre dans le sol pour arriver à retrouver, tout en place, cette pierre à côté d’un petit éclat de charbon pour la dater au carbone 14 et d’une pointe de flèche en rhyolite pour la remettre dans son contexte archéologique. Cela s’appelle une stratigraphie en place. Mais si un agriculteur laboure le champ, retourne la terre et fait remonter la pierre, celle-ci sera toujours préhistorique et intéressante, mais sans contexte autour ».
Des secrets encore enfouis
Impossible donc, pour l’instant de dater le gros rempart de pierres.
Mais l’archéologue et son équipe d’étudiants restent très motivés. Tout est encore possible, à quelques jours de la clôture de cette campagne de fouilles. La 1ère année également, les sondages avaient semblé jusqu’à la fin infructueux, malgré le matériel récolté, car la terre avait été retournée de partout. Et ce n’est qu’en toute fin de campagne que deux étudiants, qui avaient achevé leurs travaux, trouvent une unité stratégique en place.
Quelques soient les résultats, Ghjuvan-Filippu Antolini continuera, l’an prochain, à explorer le même site, avec l’envie avouée d’approfondir les recherches sur la cabane, délaissée cette saison. Quand sait-on qu’une fouille a livré tous ses secrets ? « Quand on arrive au substrat, on ne peut pas aller plus loin », dit-il. Cependant, il reste, selon lui, encore tant à découvrir. U Castellu di Sarravalle est loin d’avoir révélé tous ses trésors.
N. M.
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