La nouvelle saison 2012-2013 du théâtre municipal de Bastia, qui s’ouvre le 28 septembre, affiche les ambitions de la ville en matière culturelle et ouvre la voie à de nouveaux horizons. Jouant la carte de la diversité tant au niveau de la programmation que des lieux et des publics, elle prépare le théâtre de Bastia à se hisser au rang de scène nationale, début 2014. Francis Riolacci, adjoint au maire et délégué aux affaires culturelles, explique, à Corse Net Infos, les enjeux de cette nouvelle dynamique, notamment en termes de création locale.
- Quelle est la spécificité de cette saison théâtrale 2012-2013 ?
- Elle s’inscrit dans une orientation déjà plébiscitée par le public. La municipalité programme directement 26 spectacles et est partenaire de nombreux évènements qui se déroulent dans l’enceinte du théâtre, en particulier les festivals. Ce socle fait le succès de l’activité théâtrale puisque que toutes ces manifestations rassemblent, de la fin septembre au début juillet, plus de 80 000 personnes. C’est dire l’importance que le théâtre a dans la vie culturelle et même sociale ! Ce socle est maintenu, mais chaque saison marque toujours une originalité.
- Le changement de programmateur a-t-il influencé la saison ?
- Oui. La nouvelle programmatrice, Frédérique Flori, imprime sa propre marque. Ce qui est logique car une programmation n’est pas seulement l’addition de spectacles. Tout en conservant les clés du succès, la programmation, cette année, est plus tournée vers la jeunesse, la création contemporaine et l’innovation. A côté des comédies et des spectacles très grand public, une nouvelle dynamique ouvre sur la danse moderne et le théâtre contemporain avec, par exemple, un auteur, comme Shakespeare, revisité. Par ailleurs, une action dite de médiation est mise en œuvre.
- Qu’est-ce qu’une action de médiation ?
- La médiation consiste à créer des passerelles pour attirer des publics qui ne vont pas spontanément au théâtre ou dont la situation ne permet pas un accès régulier et facile au théâtre. Nous préparerons les spectacles par des conférences, des projections, des rencontres avec les auteurs, une masterclass avec un comédien célèbre… Nous travaillerons avec les écoles, les lycées notamment, nous inviterons des classes à des répétitions et des premières, à rencontrer des metteurs en scène, des artistes… L’idée de la médiation est l’idée de l’élargissement des publics, de la démocratisation.
- Ce théâtre est victime de son succès. Allons-nous assister au même rush le jour où s’ouvriront les réservations ?
- Oui. Mais, des réflexions sont en cours. Nous travaillons à mettre sur pied une réservation par Internet pour éviter le rush de l’ouverture, le 12 septembre. Ceci dit, la jauge étant ce qu’elle est, que l’on réserve par Internet ou que l’on vienne au théâtre, le nombre de places est limité. 860 sièges, c’est énorme pour la Corse, mais les festivals nécessiteraient une salle avec une jauge doublée. Certains artistes ne peuvent pas venir car on ne peut pas leur offrir une jauge de 2000 places.
- Avez-vous songé au moyen de pallier ce manque de places ?
- La réflexion consiste à approfondir le projet culturel. Certains spectateurs viennent sur des spectacles précis, mais pas sur d’autres. Sur les spectacles à grand succès, doubler ou tripler les représentations signifie doubler ou tripler les coûts !
- Et ce n’est financièrement pas possible ?
- Quelquefois, nous le faisons. Cette année, Cyrano de Bergerac avec Philippe Torreton est programmé deux fois. Mais, la multiplication des séances entraîne des surcoûts importants. Nous sommes sur une île, tout coûte beaucoup plus cher qu’ailleurs, le transport et l’hébergement grèvent le budget. Il est difficile d’alourdir encore plus les coûts. C’est un dilemme quand nous programmons un spectacle dont le succès est déjà garanti et dont le public connaît la qualité et l’intérêt. Nous devons faire un choix, nous ne pouvons pas programmer plusieurs représentations. C’est un peu comme un match de football qui se joue un soir à guichets fermés.
- Vous parlez de projet culturel. De quoi s’agit-il ?
- Le public ne se résume pas à un goût, à un type de spectacle ou à un genre artistique. Il n’y a pas un public, mais des publics. Offrir un divertissement est une mission importante. Mais une collectivité doit aussi imaginer le développement de sa cité et son développement culturel, qui passe par la diversification de l’offre en raison de la diversité des publics. La répétition d’un genre artistique fige le public et nous prive de la jeunesse. Comment imaginer un outil aussi important que le théâtre dans le spectacle vivant sans y intéresser la jeunesse ! Nous réfléchissons, donc, à faire venir le public qui ne vient pas.
- N’est-ce pas paradoxal de vouloir attirer encore plus de public sur un nombre de places limité ?
- La mission d’un théâtre est non seulement la diffusion de spectacles, mais aussi la diversité des publics et des propositions, sinon ce n’est plus un théâtre, c’est un lieu de spectacles. Il y a deux aspects : les coûts et la programmation. Les coûts sont saturés, la ville consacre un budget de 1,2 million € au théâtre municipal. Ce budget est déjà important, il n’est ni possible, ni raisonnable d’imaginer le doubler. Bastia n’en a pas les moyens. L’idée est de diversifier la programmation. Si nous programmons 50 comédies qui passent sur les théâtres de boulevard parisiens, nous aurons 50 soirées à guichets fermés avec le même public, 50 fois. Si nous n’évoluons pas, nous resterons, et peut-être pas longtemps, une salle de spectacle limitée par sa capacité. Il faut, à la fois, favoriser le développement culturel et réfléchir à des lieux spécifiques pour des manifestations exceptionnelles et très populaires.
- Avez-vous des projets en ce sens ?
- Oui. Le succès du théâtre nous oblige, non seulement à diversifier l’offre, mais aussi les lieux. Au niveau de la Communauté d’agglomération, nous travaillons au projet d’une salle à Toga qui serait, à la fois, omnisports et dévolue à des manifestations de grande jauge de 1500 à 2000 places. Ensuite, certains spectacles de grande qualité, plus difficiles d’accès comme la danse contemporaine, n’ont pas besoin de 860 sièges. D’ici peu, nous pourrons les transférer au Centre culturel des quartiers Sud qui a une jauge de 300 places et dont l’outil technique sera dimensionné pour satisfaire à une grande exigence professionnelle. Ce ne sera pas une salle de spectacle au rabais, au contraire ! Elle pourra accueillir sur la saison entre 10 à 15 représentations, ce qui libérera de la place au théâtre. Elle permettra, en plus, de rapprocher les manifestations culturelles des différentes couches de la population.
- Développer l’offre, est-ce ce qui vous pousse à aller vers la scène nationale ?
- Oui. C’est le travail d’une scène nationale d’apporter ce que le théâtre, aujourd’hui, ne peut pas apporter parce qu’il n’est pas organisé pour ça. Le théâtre permet de voir, à Bastia, les meilleurs spectacles qui tournent dans le pays et quelquefois dans le monde. Mais une scène nationale est un lieu beaucoup plus vivant et dynamique. Elle apporte une orientation nouvelle à la création par le soutien aux auteurs et aux artistes. Elle est un outil de développement culturel pour chaque individu qui sera, ainsi, associé à la création des genres artistiques.
- C’est-à-dire ?
- Le public est passif, il reçoit un spectacle. La scène nationale fait, de lui, un acteur de la vie culturelle et l’enrichit. Il n’est plus simplement un consommateur qui, bien sûr, prend du plaisir, mais il élargit ses goûts artistiques et sa connaissance culturelle. C’est, dans cette optique, que nous commençons les actions de médiation en diffusant, par exemple, les films associés aux pièces de théâtre pour que les gens puissent comparer le travail du cinéaste et celui du metteur en scène.
- Qui dit scène nationale dit troupe. Peut-elle favoriser le lien avec le public ?
- Oui. Une scène nationale accueille des troupes en résidence pendant un ou deux mois, le temps de créer un spectacle. On peut imaginer, demain, dans une restructuration du théâtre, des lieux dévolus à la résidence d’artistes. Ceux-ci, pendant leur temps de création, ne travaillent pas en vase clos, mais avec des publics, des acteurs amateurs, des écoles, etc. La scène nationale permet de faire exploser toutes les capacités de l’outil théâtral, pas d’entretenir une mécanique qui marche bien. Le développement, que nous avons connu, appelle d’autres avancées, des besoins nouveaux, des exigences. Il suffit de regarder le nombre de créateurs locaux qui peuvent créer car ils savent que le théâtre les produira. Ils représentent, chaque année, un tiers de la programmation musicale.
- Qu’est-ce que la scène nationale va apporter à la création insulaire ?
- La scène nationale a un double objectif de création et un double bénéfice. Elle accueille des spectacles créés ailleurs car les scènes nationales sont un réseau où un spectacle, créé dans l’une, peut tourner dans les 70 autres. Inversement, elle permet à des créateurs locaux d’exporter leur création dans ce réseau. C’est un atout car l’une des difficultés des créateurs locaux, notamment des troupes de théâtre, est la diffusion de leurs œuvres au delà des frontières de la Corse. Ils ont déjà du mal sur place parce que les lieux sont rares. Sur le continent, la difficulté est encore plus grande parce qu’il faut être connu et soutenu. Même une œuvre en langue corse peut être accompagnée en s’appuyant sur le réseau des scènes nationales. La création locale bénéficiera, ainsi, d’un outil professionnel.
- Le calendrier de mise en place de la scène nationale est-il respecté ?
- Oui. La faisabilité a été validée par le comité de pilotage, suite à une première étude. Nous rentrons dans la phase de concrétisation qui nécessite tout un travail préparatoire, des décisions politiques de la région, de la municipalité de Bastia et des autres communes associées et leurs conséquences juridiques, financières et techniques. Cette phase durera de l’automne jusqu’à la fin 2013, pour une ouverture de saison, nous l’espérons, en début d’année 2014.
Propos recueillis par Nicole MARI
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