Le tribunal de l'Union européenne (UE) vient d’annuler une décision de la Commission de Bruxelles qui avait validé, à tort, 276 millions € d’aides accordées par la France à la SNCM en 2002 et 2006 lors de sa privatisation. La Corsica Ferries, qui avait intenté le recours, obtient, donc, gain de cause. La SNCM va faire appel de la décision. Réactions des intéressés.
Dans le match économico-politico-judiciaire qui oppose les deux compagnies maritimes concurrentes depuis près de 20 ans, la Corsica Ferries reprend l’avantage avec une victoire, cette fois-ci, remportée auprès du Tribunal de l’UE. En juillet dernier, le Conseil d'Etat annulait la décision de la Cour administrative d'appel de Marseille qui avait jugé illégale la Délégation de service public (DSP), accordée en 2007 aux deux compagnies SNCM et CMN pour desservir les cinq ports corses depuis Marseille. Aujourd’hui, le Tribunal de Luxembourg donne tort à la Commission de Bruxelles qui avait validé les aides accordées par l’Etat français à la SNCM avant sa privatisation.
Rappel des faits
La SNCM avait reçu, en 2002, un apport en capital de 76 millions € de la part de son actionnaire majoritaire, la CGMF (Compagnie générale maritime et financière), détenue à 100% par l'Etat. La Commission européenne, instance politique, avait jugé, le 8 juillet 2008, que cette recapitalisation était compatible avec les règles du marché commun.
Elle avait également estimé que les mesures du plan de privatisation de la SNCM, en 2006, ne constituaient pas des aides d'Etat. Ces mesures comprenaient une recapitalisation de la SNCM pour 158 millions €, un apport supplémentaire de 8,75 millions € en capital par la CGMF et une avance en compte courant de 38,5 millions € visant à financer un éventuel plan social.
La Corsica Ferries avait introduit un recours auprès du tribunal de l'UE, instance judiciaire, afin d'obtenir l'annulation de cette décision.
Une décision annulée
Elle vient d’obtenir gain de cause. Le Tribunal a, en effet, jugé que la Commission s'était trompée et qu’elle n'avait pas correctement apprécié ce qu'aurait fait un investisseur privé dans des circonstances similaires. Il conclut, au contraire, que les aides apportées constituent des aides d'Etat, susceptibles de fausser la concurrence, et sont donc illégales au regard du droit européen. En clair, il invalide la décision de la Commission et l’oblige à revoir sa copie, c’est-à-dire à refaire son analyse et à prendre une nouvelle décision.
Il laisse une importante question en suspens : la SNCM devra-t-elle rembourser, tout ou partie, ces aides d'Etat considérées désormais comme illégales ?
Sérénité à la SNCM
Dès l’annonce de cette décision, la Direction de la compagnie en a minimisé l’impact dans un communiqué de presse. « A ce stade, il n'y a pas d'impact financier direct pour la SNCM, le tribunal renvoyant l'examen au fond à la Commission européenne sans préjuger du résultat de ce réexamen. Toutefois, la SNCM entend faire appel de cette décision ».
Le directeur général de la SNCM pour la Corse, Pierre-André Giovannini, se veut même serein : « C’est l’Etat qui, à ce moment-là, devra répondre et justifier la façon dont il a aidé l’entreprise. Il faut déterminer si les sommes, qui ont été allouées à cette époque, étaient appropriées pour aider une entreprise, qui assurait la continuité territoriale, à continuer à assurer ce pour quoi elle était missionnée ».
Estimant qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, la SNCM dit attendre la nouvelle décision que devra prendre la commission tout en accusant Corsica Ferries d'acharnement judiciaire.
Satisfaction chez Corsica Ferries
De son côté, le directeur de Corsica Ferries, Pierre Mattei, savoure la sentence rendue, même si la procédure est loin d'être terminée. « Depuis 20 ans, nous disons qu’il y a trop d’argent public. Nous avons, dès la recapitalisation de la SNCM, critiqué et attaqué ce dispositif. Nous avons vu l’argent couler à flots, l’Etat donner, sans justification suffisante, la somme hallucinante de 280 millions € pour se débarrasser de la SNCM, somme qui est venue s’ajouter à celle de la continuité territoriale. Le président Giacobbi a critiqué mieux que nous cette extravagante procédure de privatisation. La procédure de recours a été initiée par la CMN, que nous avons rejointe avant qu’elle ne se retire ».
Pourquoi un tel acharnement judiciaire ? « Nous attaquons le fait que l’on donne trop d’argent au délégataire SNCM pour faire ce que nous faisons sans subventions. Nous espérons que ces aides seront limitées au minimum parce que c’est la garantie de deux principes. Le premier, c’est évidemment, l’économie des fonds publics qui, en ce moment, n’est pas du tout négligeable. Le deuxième, c’est la garantie des droits de la concurrence et le fait que nous puissions, nous aussi, intervenir sur ces marchés à armes égales».
Mais gagner une bataille n’est pas gagné la guerre et Pierre Mattei en est bien conscient : « Le Tribunal nous donne raison et précise bien les contours de la future décision. Une partie de l’aide est approuvée, les 2/3 sont contestés. C’est une étape. Il faudra continuer nos échanges d’arguments ».
En débat, fin septembre
Cette décision judiciaire n’est qu’une nouvelle péripétie dans la guerre de tranchée que se livrent les deux compagnies. Elle est distincte de l'enquête ouverte, en juin dernier par Bruxelles, toujours sur recours de la Corsica Ferries, afin de déterminer si les compensations reçues par la SNCM et la CMN pour la desserte des lignes entre la Corse et Marseille dans le cadre de la DSP sont conformes aux règles de l'UE. Un nouveau rebondissement de ce feuilleton naval et judiciaire n’est pas à exclure. La suite, donc, au prochain épisode ! Peut-être, lors de la prochaine session de l’Assemblée de Corse, les 27 et 28 septembre prochains, où ce dossier brûlant revient en débat. Le directeur de l’Office des transports de la Corse, Francis Pian, sera, d’ailleurs, reçu à ce sujet, ce mercredi, au ministère des transports à Paris.
N. M.
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Louis (mardi, 04 juin 2013 23:37)
Merci de citer le nom d'auteur de la photo
Louis M-Martin, http://shipmania.jimdo.com/